L'art:l’oeuvre d'art vit ,vieillit et rajeunit sans cesse
Comme tout objet au monde, 1 œuvre d’art se transforme avec le temps : les tableaux se craquellent et se noircissent, les statues, surtout si elles sont installées dehors, se salissent, s’usent, se détériorent de mille façons. Certaines parmi les plus célèbres sont brisées et nous sont parvenues incomplètes : la Victoire de Samothrace (p. 91) n’a pas de tête, la Vénus de Milo (p. 91) est privée de bras. Parfois on répare complètement, mais le résultat n’est pas forcément bon. Personne n’a voulu « inventer » une tête à la Victoire de Samothrace et, malgré son allure de poupée cassée, cette statue ailée demeure un chef-d’œuvre.
Quant à 1 architecture, c’est elle qui souffre le plus du temps qui passe. D’abord parce que ce temps peut être très long : les pyramides d Egypte (p. 42) ont résisté grâce au climat sec du désert. Ensuite parce que la plupart des matériaux sont fragiles. Même la pierre s’use, se couvre de dépôts : la pollution existe depuis toujours, parce qu’il y a toujours en des fumées et des poussières transportées par la pluie et le vent. Et la pierre elle-même est attaquée par des végétaux ou des animaux microscopiques : elle a des maladies, comme la peau humaine. En peinture, les vernis noircissent, la couleur séchée se craquelle, créant des formes parasites qui finiraient par manger le tableau si on ne le restaurait pas.
Restaurations, transformations
Les monuments anciens, certaines œuvres changent d’apparence pas seulement par l’usure et la dégradation, mais aussi par la volonté des gens.
Certains sont complètement redécorés et ont été transformés au XVIe et au XVII1‘ siècle – quatre et cinq cents ans après leur construction – en monuments baroques. Comme ces nouveaux décors sont beaux, on hésite à les enlever pour redonner à I église sa première apparence. C’est pourtant ce qu’on a fait, dans le sud de l’Italie, par exemple à Trani, où la simplicité du Moyen Age s’est dégagée des ornements compliqués.
Dans d autres cas, des modifications conservent I apparence générale, le style, mais changent un peu les proportions. A la grande église romane de Saint-Cernin, à Toulouse, on a récemment redonné à I édifice son apparence première, alors qu’il avait été modifié il y a des siècles.
Il y a cent cinquante ans, certains architectes voulaient même donner aux œuvres anciennes l’apparence qu’ elles auraient dû avoir – car les
monuments d’autrefois sont souvent de styles variés, lorsqu’ils ont mis longtemps à se construire : un bout roman, un bout gothique, des chapelles plus récentes… De grands théoriciens, comme Viollet-le-Duc (p. 280), recherchaient un style idéal, surtout dans le gothique. Mais un bâtiment n’est pas une idée, et ces restaurations, en devenant des reconstitutions, modifient inutilement la réalité vivante des œuvres.
En général, on respecte ce qui existe et 011 ne modifie que ce qui est dégradé, cassé – et encore sans recréer ce qui a complètement disparu : la peinture des anciennes sculptures, le décor de nombreux monuments (fresques, etc.).
Changer les matériaux
Il arrive aussi, lorsqu’on continue une tradition, qu’on conserve exactement les apparences en changeant peu à peu les matériaux. C’est le cas de temples japonais en bois dont aucun morceau ne date de la fondation très ancienne de ces bâtiments, mais qui sont identiques en tout ce qui est artistique : proportions, matériaux, formes, couleurs… Cette façon de procéder ressemble au célèbre couteau de Jeannot : d’abord on change la lame, ensuite le manche, les nouveaux morceaux sont exactement semblables à l’ancienne lame, à I ancien manche. Est-ce que c’est le même couteau, ou un autre ? Ainsi, certaines œuvres sont à la fois originales, authentiques et refaites. L’œuvre ancienne complètement restaurée peut donner la même émotion que l’œuvre attaquée par le temps – la cathédrale de Reims, par exemple, bombardée et reconstruite avec ses propres pierres – ou bien elle peut ne plus avoir I air vraie : on dirait une copie, un pastiche. C’est une question de technique, de goût, de connaissance et de moyens, pour le restaurateur.
Parmi tous les arts, ce sont la sculpture, la fresque, la mosaïque, le vitrail et. bien sûr, F architecture qui font l’objet des changements les plus importants, sous prétexte de restauration.
La beauté des ruines
A côté de ce rattrapage du passé, certaines œuvres d art très anciennes exposent leur usure, leurs cassures comme une beauté. Nous sommes habitués à voir les villes antiques, les temples grecs et romains comme des ruines. O11 a même fabriqué des ruines artificielles, en oubliant que 1 un des artistes qui ont produit les ruines, c’est le temps et non pas une volonté humaine. À vrai dire, toutes les ruines qu’on peut visiter sont un peu artificielles : l’archéologie, tout en recherchant les traces du passé pour mieux les comprendre, tente de présenter pour nous ces traces du passé, en fouillant la terre, en dégageant les sols dallés, en remontant des colonnes et des morceaux de salles. C’est une sorte d’architecture : au lieu de réaliser une idée d’édifice (qui n existe pas encore), on reconstitue des éléments du passé qu’on peut retrouver en les rapprochant de leur état ancien – mais sans essayer de le reproduire !