L'approche psychanalytique
Les principes
Si la tragédie offre une représentation privilégiée de ce dont il est question dans l’analyse, il n’en va pas de même de la peinture. Décrire l’objet pictural avec des mots c’est pour Freud « le dissiper », c’est rejeter le voile de représentations derrière lequel la signification se cachait. Le tableau, au même titre que la scène onirique représente un objet absent. Comme le rêve, le tableau est pensé selon la fonction de représentation hallucinatoire. « L’essentiel y est la réalisation de la déréalité qu’est le fantasme » (J.-F. Lyotard « Psychanalyse et peinture » in Encyclopédia Universalis). L’interprétation devra donc chercher à révéler sous l’image présentée une forme supposée déterminante dans la fantasmatique du peintre. Pour Freud, le statut de l’image est celui d’une signification déchue, occultée, qui se représente en son absence. Les images sont des écrans qu’il faut déchirer. Et J.-F. Lyotard montre bien les limites de cette « esthétique psychanalytique » qui conduit à ne saisir l’objet esthétique en ne portant « attention aux propriétés formelles de l’objet que pour autant qu’elles signalent symboliquement sa destination inconsciente ».
Freud le premier est tout à fait conscient des limites de l’approche psychanalytique . Il reconnaît volontiers ses propres limites en matière d’art : « Je commence par le déclarer : je ne suis pas un connaisseur d’art; mais un simple amateur. » (Essais de psychanalyse appliquée, 1933 pour la traduction française). La psychanalyse — ou plus précisément la pathographie — « ne se propose pas d’expliquer l’œuvre du grand homme, et l’on ne peut reprocher à personne de ne pas tenir ce qu’il n’a jamais promis. […] On ne fait que s’instruire de son être » (Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, 1908). Les moyens manquent pour expliquer comment l’activité artistique « se laisse ramener aux instincts psychiques primitifs. […] Nous nous contenterons de constater ce fait désormais indubitable : le travail créateur d’un artiste est en même temps une dérivation de ses désirs sexuels » (Ibid.). Cette dérivation de l’activité sexuelle au service de l’activité professionnelle — parfois créatrice — c’est la sublimation. L’instinct sexuel abandonne son but immédiat en faveur d’autres buts non sexuels et éventuellement plus élevés dans l’esprit des hommes. Le processus est démontré lorsque la biographie de l’individu montre qu’une tendance devenue prépondérante — par exemple chez Léonard, l’investigation — était dans l’enfance mise au service d’intérêts d’ordre sexuel. Ce que confirmera plus tard l’étiolement de la vie sexuelle remplacée par cette tendance dominatrice.
Un exemple
Dans Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, Freud relève quelques traits de la personnalité de l’artiste et quelques faits de sa biographie. Il souligne l’accouchement pénible de l’œuvre, la fuite finale devant son accomplissement, l’indifférence au sort ultérieur de son travail. Ces trois caractéristiques auraient pour cause une tendance dominante : l’investigation. « L’artiste avait d’abord pris le chercheur à son service, mais le serviteur était devenu le plus fort et opprimait le maître ». Parallèlement, Léonard sublime la plus grande partie de sa libido en instinct d’investigation. Si Freud s’intéresse à l’œuvre de Léonard ce n’est donc pas pour en éclaircir les mystères, mais pour déterminer si « dans l’œuvre de Léonard des témoignages de ce que sa mémoire conserva comme la plus puissante impression de son enfance » ne pouvaient être repérés. C’est ainsi qu’il est amené à s’intéresser au fameux sourire récurrent dans ses peintures à partir du portrait de Mona Usa. « Léonard aurait été captivé par le sourire de la Joconde, parce que ce sourire éveillait en lui quelque chose qui, depuis longtemps sommeillait au fond de son âme, sans doute un très ancien souvenir. » Sourire qui se répéta, ensuite, une fois réveillé, dans plusieurs de ses œuvres, en autant de nouvelles incarnations. C’est bien sûr le sourire de la mère… Retiré à sa mère entre trois et cinq ans, Léonard fut élevé chez son père naturel par sa belle-mère et sa grand-mère paternelle. Le groupe de la Vierge et Sainte Anne avec l’enfant Jésus est pour Freud la figuration à la fois de la perte de sa mère et de l’amour qu’il reçut de la part des deux autres femmes.
Que Freud ait été abusé par une mauvaise traduction qui lui fit prendre un milan pour un vautour, dans la relation que fait Léonard d’un souvenir d’enfance, est en définitive de peu d’importance. Car le fantasme demeure de cet oiseau qui avec sa queue aurait ouvert la bouche de Léonard, encore au berceau, et l’aurait frappé avec cette queue, plusieurs fois entre les lèvres. Le principe de l’analyse du « contenu réel » du fantasme n’en est pas moins pertinent. Elle permet à l’analyste de mettre en lumière la structure de la vie psychique de Léonard et de déterminer la part prise par la libido à sa constitution. Mas l’essai se termine sur l’aveu que si « le don artistique et la capacité de travail sont intimement liés à la sublimation […], l’essence de la fonction artistique nous reste psychanalytiquement inaccessible » La psychanalyse n’explique pas pourquoi Léonard fut un grand artiste, elle fait comprendre les manifestations et les limitations de son art.
Antonin Artaud s’élève contre toute approche des œuvres d’art qui en resterait au niveau des seules apparences formelles. Il fustige « la soi-disant grande peinture des Titien, des Rubens, des Véronèse, de Rembrandt même, et autres façonniers émérites et artisans d’un plâtras où se joue seulement l’épiderme de la lumière, des formes et des significations ». Il réclamera un questionnement très en profondeur, en écorché, utérin et fœtal, sanglant et fécal. Pour lui, quelque chose de grave se joue toujours en art. Quand Artemisia Gentileschi (1597-C.1652) représente des héroïnes bibliques ou mythologiques tueuses d’hommes, il faut savoir que c’est pour retrouver sa dignité de fille violée. Quand Füssli peint Le Cauchemar (1791), c’est pour tourmenter une femme qu’il ne peut épouser…
Ce sont là des éléments d’information sans doute utiles. « Ça respire, ça chauffe, ça mange, ça chie, ça baise » n’hésitent pas à écrire Gilles Deleuze et Félix Guattari (L’anti-Œdipe, 1975). Mais l’histoire de l’art ne peut se satisfaire de ce niveau de connaissances. Est-il raisonnable d’envisager une telle approche?
On n’ignore pas cependant que quelque chose de fondamental se joue dans la production artistique et que seule une interprétation de type psychanalytique serait en mesure de révéler. On ne peut en rester au niveau du « comment ». Avec Artaud, on devra se tourner vers le « pourquoi » une œuvre a été créée. Des perspectives passionnantes s’ouvrent alors au champ de la recherche.
Vidéo : L’approche psychanalytique
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