Faut-il avoir une pratique artistique pour etre un bon historien d'art ?
La question peut paraître déplacée; demande-t-on à l’historien d’être un homme d’État ou un chef d’armées, ou à l’historien des sciences d’être lui- même chercheur? Elle mérite pourtant d’être posée car elle fut source de débats. Elle en cache en effet une autre, qui concerne la légitimité du jugement de celui que l’on appellera au xvne siècle l’Amateur. Félibien, comme Roger de Piles ne manqueront pas d’indiquer qu’ils ont eux-mêmes pratiqué la peinture, et parfois au contact des plus grands. Si Diderot n’a jamais tenu le pinceau, il fréquenta assidûment les ateliers et nourrit ses critiques des nombreuses conversations qu’il eut avec les artistes de son temps. Contrairement à l’esthéticien qui manie des concepts, l’historien ou le critique ont pu sentir cette nécessaire proximité avec l’art jusque dans ses aspects les plus techniques. Et puis, les premiers historiens de l’art des temps modernes, Vasari et Sandrart, n’étaient- ils pas eux-mêmes peintres, et non des moindres?
Cette question de la légitimité du discours sur l’art, l’Abbé Du Bos la résume à sa manière : « La discussion est-elle préférable au sentiment pour juger les objets du goût? » (Réflexions critiques sur la poésie et la peinture, 1719). La nouveauté tient, alors, dans la passion naissante du public pour ces discussions, retombées des retentissantes querelles artistiques, et au premier rang celle des Anciens et des Modernes, passion qu’alimentent les premiers pas de la critique d’art. La peinture suscite un engouement tout particulier : « La démangeaison
des écrivains d’aujourd’hui est de vouloir parler des arts sans s’y connaître, écrr* l’Abbé Le Blanc (1753), les artistes s’en plaignent, et ils ont raison. Mais j quelques-uns d’entre eux ne songent pas qu’on pourrait leur faire un autre reproche, qui n’est pas moins bien fondé. La manie du siècle les gagne sans j qu’ils s’en aperçoivent : la fureur d’écrire s’est emparé de tous les esprits, et c’est un autre art qui a aussi ses difficultés et dont se mêlent aujourd’hui ceux mêmes qui n’en ont pas les premiers principes. Tel pourrait se faire honneur par son talent, qui perd son temps à vouloir en disserter. »
L’ironie de l’abbé est toujours d’actualité, et d’autant plus que la « dissertation » tend à prendre le pas sur le « talent »…
Plus sérieusement, toute constitution d’une discipline scientifique suppose que soit nettement définis et séparés l’objet de la recherche et la méthodologie. Ce qui n’implique pas le devoir d’ignorance. Mais affirmer que la maîtrise technique d’un art est nécessaire à sa bonne compréhension, c’est oublier que cette technique n’est pas indifférente; elle est intentionnelle, au service d’un projet pris dans l’histoire. L’exigence scientifique ne saurait admettre une telle fusion, un tel parti pris. L’historien doit donc respecter la règle weberienne de la « neutralité axiologique », ne pas prendre parti pour les valeurs qu’il analyse.
Ce qui amène Wôlfflin lui-même à noter dans son Journal : « L’historien de l’art qui voudrait se placer sur le même plan que l’artiste est un homme perdu, il lui faut intervenir en tant qu’historien. »
Vidéo : Faut-il avoir une pratique artistique pour etre un bon historien d’art ?
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