Esthétique de l'environnement : L'oeuvre de l'art
L’œuvre de l’art (littéraire ou picturale) donne l’illusion de matérialiser l’intime réalité de l’objet. Entre l’impression de l’observateur et l’expression de l’artiste, il y a toute une gamme de changements qui concerne la morphologie, la structure géographique et le domaine affectif. Il s’agit d’un processus d’incorporation et d’introjection correspondant à un changement entre sujet et objet, entre intériorité et extériorité. Durer (1471-1528), un artiste dont le génie apparaît au début de la valorisation esthétique moderne du paysage, disait que le véritable art se dissimule dans la nature et que seul celui qui sait l’en extraire le possède vraiment [19831 On retrouvera cette idée différemment traduite, entre le XVIIIe et le XIXe siècle surtout, dans la vision néoplatonicienne d’un Goethe et dans la théorie d’un Carus, quand ce dernier parle, dans ses Lettres sur la peinture de paysage , des images de la vie terrestre pour une âme, celle de l’artiste, purifiée par l’élément suprasensible de la beauté naturelle. On qualifiera de mystiques ou d’orphiques les images d’une vision aussi élevée de la nature, capable d’amener un “art de la vie sur terre” (Erdenleben- kunst). Mais déjà A. Cozens, entre autres, dans un texte écrit autour de 1785, qui résonne de façon lointaine mais néanmoins importante avec Durer, avait déclaré que la représentation des paysages est supérieure à l’imitation des aspects particuliers de la nature.
Le paysage, au moment où il exprime l’immensité absolue des formes naturelles, semble être une énigme, comme l’a relevé G. Carchia 11999, p. 1281. On se trouve en présence d’un double mouvement de l’esprit qui n’est contradictoire qu’en apparence. D’un côté, l’avertissement d’une étrangeté et d’un éloignement, de l’autre, le sentiment que cette étrangeté est ce qui est le plus propre. L’éloignement, dans ce jeu d’allusions obscures, se traduit en intériorité : notre être est habité par un sentiment non humain. Ainsi s’est-on déplacé du visible à l’invisible, parce que tous les paysages vivent d’une extase visionnaire et parce que nous qui le contemplons, dans un renoncement temporel, spatial, objectif et subjectif, nous cherchons à nous perdre en lui, entre les domaines de la sensation et de la perception .