Paysage urbain
Même est la ville paysage. De celle-ci nous pouvons sortir dans la nature (nous avons déjà donné l’exemple de Socrate et Phèdre), dans un échange entre la ville et la campagne, mais nous pouvons aussi entrer dans la ville pour vivre dans la contemplation des structures architectoniques. Toute architecture est de paysage et favorise un rapport éducatif paideumatique entre l’environnement et l’esprit. Notre regard et notre corps pratiquent une contemplation entre dedans et dehors, entre ce qui est à l’extérieur et éloigné, et ce qui est à l’intérieur, plus intime, et qui se déroule sous nos yeux. Il y a une étroite corrélation entre l’expérience esthétique du paysage naturel et celle du paysage urbain. Tout comme il habite la ville, l’homme habite la terre.
Agglomérations urbaines petites ou grandes peuvent être la réalisation d’utopies renaissantes ou modernes, mais la ville ou la métropole, avec ses places, ses quartiers, ses édifices, ses monuments peut nous désorienter et favoriser la manifestation d’impressions très diverses. Honoré de Balzac (Ferragus) décrit Paris comme la plus délicieuse des expositions. Pourtant, que ce soit le Londres de Fielding, le Paris de Baudelaire, la Rome de D’Annunzio, le Turin de Nietzsche, la Prague de Kafka, la Venise de Ruskin importe peu. On pourrait ainsi continuer avec une autre liste interminable à associer les villes et la peinture. Ce que l’on veut souligner, c’est l’attraction du lieu comme site de l’habitation et de l’être, de l’œuvre et de la recherche du plaisir.
Depuis les origines, la ville est un principe qui organise et représente l’espace tout en obéissant à îles critères sociaux et idéaux. Les constructions architectoniques et urbaines correspondent aux domaines île la culture ou à ceux plus abstraits de la philosophie. Panofsky, dans Gothic Architecture and Scbolasticism ( 1957), montre une analogie formelle entre la somme théologique de la scolastique médiévale et les cathédrales, comme des ensembles intelligibles composés selon des méthodes identiques, caractérisées entre autres par la rigoureuse séparation des parties, par la clarté explicite des hiérarchies formelles et par la conciliation harmonieuse des contraires. A la Renaissance, la géométrie, la perspective, l’ordre mathématique se combinent avec les nouveaux besoins de la communication et de l’art militaire. Les cités idéales, quel qu’en soit l’ordre géométrique, l’étoile de Filarete ou l’échiquier de Durer, appartiennent à des espaces concentrés, fermés. Par la suite, ce qui va prendre le dessus, c’est l’espace ouvert dont l’image se redessine comme un champ de forces représenté par des fonctions et des flux.
Les villes antiques, médiévales, renaissantes et baroques nous donnent le confort de formes urbaines et architecturales d’une réalité humaine et utopique où trouver notre place. Elles sont un refuge face à la puissance dévastatrice des nouvelles villes et de leur périphérie, qui nous donnent très souvent l’exemple du chaos. Face au malheur du présent, cette suggestion et cette invitation d’Assunto conservent toujours leur valeur : s’enfuir de la cité de Prométhée, fondée sur l’économisme, le productivisme et le scientisme, pour aller se réfugier dans la cité d’Amphion qui apprivoisait, avec la musique et le chant, la rationalité de la construction.
La beauté des différentes villes qui reprennent les valeurs de la société qui les a produites est variée.
Le noyau urbain, explique Marco Romano [1993], | peut, comme un organisme biologique, connaître de rapides mutations successives, conditions du jeu du l chaos et de la nécessité, comme disent les nouveaux biologistes.
Dans n’importe quel siècle peut naître un mouvement social destiné à donner une forme stable à une longue période qui lui succède. La cité antique, avec ses temples, ses théâtres, ses places et ses gymnases, a duré mille ans avant le bas Moyen Age, tout comme a duré jusqu’à maintenant la ville européenne née autour de l’an mille. Mais c’est arrivé et cela arrive encore, les phénomènes de changement continu modifient le modèle qui semblait immuable.