L'art du paysage : la grâce évoque
Chez Homère, la grâce évoque la beauté divine, quelque chose qui s’enfuit et qui éblouit, une splendeur qui traverse les corps et les matières, qui frôle l’homme, qui exalte ce qui est caché et profond. Signe de l’inspiration, de l’innocence, de la beauté spontanée, elle traverse l’histoire avec la légèreté d’une danse des transformations, pour revivre le secret des grands et doux enchantements. Du paganisme au christianisme s’exprime une perfection et une noblesse créée sans effort, le passage joyeux du fini à l’infini. La légèreté s’oppose au terrible, le sourire a l’horreur.
Dans la représentation dantesque, la grâce théologique se fonde sur une poétique de la nature. A ce processus correspond celui de l’ennoblissement de la grâce mondaine. L iconographie terrestre de Dante, expression de la théorie mystique du monde du point de vue du christianisme, a suscité différentes réponses. Comme l’a relevé Assunto [19731. on y voit formulée l’idée esthétique que l’on retrouve dans Y Agneau mystique de Gand, œuvre des frères Van Eyck, dont l’inspiration a puisé à la même source néotestamentaire, la prophétie du jardin céleste du livre de l’Apocalypse. Ce dernier est l’exemple d’une grâce qui se révèle dans la nature, d’une félicité qui appartient à la joie parfaite du monde.
Pour tout le XVIIIe, à partir de Leibniz, l’idéal de la grâce a été célébré dans l’art et dans la nature en prenant comme opposé le sublime, caractérisé par des images de lieux sauvages et inaccessibles. Le gracieux, en revanche, cultivé par le goût rococo et néo-classique, se réalise dans une nature deliziosa, et se complaît dans les caprices et les broutilles (Watteau et I ragonard). C’est le plaisir de contempler en se laissant porter par la douceur, la suavité des lumières ci des couleurs de l’eau et de la terre. Leibniz [1714, prop. 88) voyait la nature rachetée par la grâce céleste ci terrestre. Dans la seconde moitié du siècle, l’esthétique néoclassique recompose le dessin du beau idéal, entre ciel et terre, passé et présent, dans une perspective continue. On voit alors Y Antiquité aussi bien comme le Paradis perdu de la nostalgie que comme la Terre promise du “rapatriemen”, pour utiliser une expression d’Assunto. Cet idéal du regard rétrospectif était précisément guidé par la.grâce, à la façon dont Winckelmann et Schiller en Allemagne, liertola et L. Cicognara, en Italie, venaient de la théoriser. Parallèlement au thème de la quiétude et de I harmonie, on trouve les suggestions de l’Antiquité pour instaurer un modèle authentique, non corrompu, alimentant une interprétation particulière du sublime dans un esprit classique.