Morphologie des beautés naturelles : Ombres de feu et vertiges des catastrophes
On trouve une image secrète du feu dans le sang, dans le cœur, dans les couleurs étincelantes. Sa saison est l’été, son caractère la bile jaune, son organe le lois, son personnage le colérique. Il est naturel que, de l’ordre du cosmos, de la diffusion objective et, disons, mystérieuse des éléments, résultent des désastres qui suscitent la terreur et influencent les esprits imaginatifs, tant sur le plan de la réception esthétique que sur le plan de la créativité artistique. Le feu, élément du cosmos, est un destructeur mortel. Son avancée soudaine et irrépressible frappe les esprits.
Au XVIIF siècle, on associe le feu au désir de voir les volcans, dans un parcours esthétique qui mêle le goût des ruines au culte du danger. Bernardin de Saint-Pierre {Etudes de la nature, 1784) dit que les volcans de Naples attirent plus de visiteurs que les merveilleux jardins du bord de la côte ; les campagnes de Grèce et d’Italie, couvertes de ruines, attirent davantage les riches lettrés anglais ; le tableau d’une tempête attire plus de curieux qu’un autre, qui représente la tranquillité, et la chute d’une tour plus de spectateurs que sa construction. Jean Houël ( Voyages pittoresques des isles de Sicile, de Malte et de Lipari, 1782-1787) raconte sa promenade sur le cratère du Stromboli, l’horreur mêlée de plaisir qu’il éprouve en observant un lieu aussi terrible, tout en faisant l’éloge de la grandeur et de la beauté de ce spectacle de leu. William Beckford [1780, trad. fr. 1990] évoque la stupeur que provoquaient en lui les temples mémorables, les cascades, les grottes, les lieux pleins d’ombre ou souterrains, mais surtout la sublimité des volcans. Il raconte une excursion sur le cratère de Ltna, sur les laves refroidies, alors qu’il se laisse guider par la lumière sinistre de ces feux éternels que le sommet éructait, suivant un chemin parsemé de croix érigées sur les tombes de malheureux voyageurs, morts durant leur expédition sur la montagne, jusqu a ce qu’il ait vu face à lui le cratère de cet affreux volcan que l’on considérait superstitieusement comme la bouche de l’Enfer. La solitude où il se trouvait, le grognement sourd du volcan et tout ce spectacle terrifiant eurent un tel effet sur son imagination qu’il eut l’impression de voir des formes étranges monter et descendre sur les bords abrupts de l’épouvantable gorge. Tl lui semblait même entendre les cris de désolation et d’angoisse s’élever de l’abîme terrifiant. Tel était le fruit de son imagination. Le ton emphatique de ces récits nous fait comprendre le climat esthétique de l’époque, ouverte aux émotions que cause le danger. Symbole de ce vertige, la Mort d’Empédocle clans le gouffre (1665-1670) de Salvator Rosa.