Masaccio Révolutionne le style d’église
En 1424 les Brancacci, riches commerçants florentins, commandent à Masolino da Panicale, peintre d’églises fort répandu, les fresques de la chapelle à leur nom à Santa Maria del Carminé. Masolino commence par la voûte et de grandes lunettes, puis il part en Hongrie en laissant son jeune collaborateur Masaccio continuer son travail. On s’étonne car les conceptions de la figure de son cadet sont fort différentes de celles de Masolino. Il s’oppose, par sa formation et son tempérament, à l’univers sensible au modelé délicat de son maître, et l’on ne peut que craindre un changement de style préjudiciable à l’unité de l’ensemble. Masaccio a en effet une conception pleinement humaine des scènes sacrées.
C’était la première fois qu’un jeune peintre, à l’œuvre mince, succédait à un aîné reconnu qui, l’appréciant, avait accepté, sans envisager les conséquences, qu’il le relayât dans sa prestigieuse commande de la chapelle. Or Masaccio va complètement en modifier la technique et l’esprit, et cette rupture est regardée à Florence comme un véritable scandale, le premier dans le style au gothique médiéval que Masaccio partageait à ses débuts avec Masolino.
Celui-ci supprime aussi les différences de dimensions entre les personnages, issues de la conception hiérarchique du Moyen Age, et les anciens symboles, excepté les nimbes des saints, sont remplacés par des éléments du monde réel. Autant de ruptures qui font du peintre le premier des novateurs, après Giotto, de la pensée et de l’esthétique à l’orée libératrice de la Renaissance.
Au début de leur collaboration, dans le registre supérieur de la chapelle, les deux peintres étaient proches même si les différences dans le modelé des volumes les distinguaient ; en revanche, dans le registre inférieur, l’influence de Masaccio s’impose et domine. La rupture s’accomplit.
De septembre 1425 à juillet 1427, Masolino étant en Hongrie et Felice Brancacci absent de Florence pour plusieurs mois, les travaux de la chapelle sont interrompus. Masaccio ne reprit seul le registre inférieur qu’en 1427 ; il donna aux figures une monumentalité et un réalisme plastique qui les mettent de plain-pied avec le spectateur. Kenneth Clark dira qu’ils semblaient « sauter de la rue dans le cadre ».
Felice en disgrâce lors du retour des Médicis à Florence, Masolino absent, Masaccio disparu à vingt-sept ans en 1428, la décoration de la chapelle Brancacci, laboratoire expérimental de l’avenir, est abandonnée. Elle sera achevée à la fin du siècle par Filippino Lippi.Avant de mourir Masaccio avait exécuté à la fresque, à Santa Maria Novella, ce qui peut être regardé comme son testament de peintre, la représentation de la Trinité dans un espace quadrangulaire voûté, inspiré, ou peut-être réalisé, par Brunelleschi. Là, comme au Carminé, à partir d’un programme iconographique complexe, le peintre exprime, sans renier les dogmes, son nouvel idéal de l’homme. Sa révolution, spiritualiste et esthétique, prélude aux recherches spatiales et humanistes sublimées par la formidable démonstration anatomique de l’opéra céleste du Jugement dernier. premier scandale spectaculaire de l’Église qui dure jusqu’à nos jours.