Armatures de métal et voiles de terre
D’autres artistes s’engagent également dans une vision en rupture d’académisme, outrepassant les formes mécaniquement possibles, visitant d’autres matériaux, absorbant les découvertes de l’ingénieur et s’émerveillant devant des principes de l’architectonique. Adoptant les structures métalliques des voiles de béton armé, ils imaginent un squelette en « fer à béton » et en grillage d’acier, recouvert d’une pellicule d’argile qui exprime sa plasticité vivante. L’artiste plie le métal, modèle sa terre autour des armatures mais, lors du séchage et de la cuisson, la terre impose sa loi, se rétracte et s’isole en créant des zones de force, inaliénables mouvements d’une écorce terrestre flottante. Si l’horizon de la création céramique devait être balisé, il le serait par les grands Boucliers de Michel Moglia (p. 38), dont certains mesurent 4 m de hauteur. Ces formes que l’on dit ethniques, créées en 1987, évoquent l’Afrique et valent par leur performance: leur peau est une fine couche d’argile, tendue sur un grillage supporté par une armature de fer. Elles sont cuites sans l’aide de four, sous la flamme directe d’un brûleur à air puisé. Cette flamme est crachée dans une tuyère de fibre d’alumine en forme de cône qui concentre la chaleur en un point; cette sorte de lance-chalumeau est suspendue à une potence mobile que l’on déplace toutes les cinq minutes, de point en point. La fantaisie de l’extrême de ce musicien professionnel s’épanche dans des projets volontairement atypiques, comme en témoigne sa Coccinelle à pédales dans laquelle de vieux Velosolex se couvrent d’élytres géants en céramique. Les stèles du céramiste suisse Philippe Barde, de 2 m de hauteur, armées de fer à béton et ornées d’empreintes de corps, sont cuites couchées dans un four à gaz. Étiye Dimma-Poulsen, plasticienne éthiopienne, travaille depuis 1992 sur les terres armées d’un grillage, totems hiératiques au corps de terre déchirée par le feu. Equilibrer toutes ces tensions est un art difficile, il faut composer. Bien sûr, l’argile est réfractaire et fortement chamottée, mais cuire constitue un bouleversement physique et l’on se doute bien qu’il faut beaucoup d’imagination au céramiste devant toutes les solutions qu’il doit découvrir pour mener à terme l’opération.