L'art du paysage : Beauté
Burke, on l’a déjà dit, distingue le beau du sublime. Le premier révèle l’amour agissant à travers les sens ; ses qualités sont d’être petit, lisse, varié, délicat, coloré suivant un goût mesuré. Le sublime, en revanche, est ce qui est vaste, rugueux, ténébreux, massif ; c’est “une espèce de tranquillité teintée de terreur”.
Pour comprendre la beauté naturelle, nous ne pouvons cependant pas nous en tenir à une image psychophysiologique. Habituellement opposée à la beauté artistique, la beauté naturelle est très ancrée dans la conscience commune et semble même avoir une certaine valeur aux yeux de ces philosophes qui maintiennent la division entre la forme de l’art et l’expérience esthétique, expérience où ressort le versant plaisant et contemplatif du monde. Au XVIIIe siècle, Kant [1790, trad. 19681 distinguait entre Naturschôn- beit (beauté naturelle) et Kunstschônheit (beauté artistique), reconnaissant une autonomie à la première ; dans la philosophie idéaliste, on l’a vu, c’est la seconde qui prévaudra. Cette distinction reflète le vieux conflit entre art et nature ; la nature peut être représentée comme un fait propre à la manifestation de l’art qui s’unit à l’originalité même du génie artistique, ou peut aussi être interprétée en termes d’infériorité ou de supériorité. Hegel admet le beau dans la nature mais au sens d’une liquidation, car l’art, qui est opposé à la nature, “idéalise”, dit-il, ses contenus et matériaux, les modifie et les recompose avec ses propres forces porteuses de liberté, d’autonomie et d’infinité. L’objectivisme hégélien admet que la nature est belle ; toutefois, la conscience de l’être passe nécessairement par la philosophie selon ce processus rationnel qui s’achève dans la synthèse autoconsciente que l’on sait. la beauté de la nature, dans son mouvement de tension vitale vers un lieu harmonieux, est alors considérée comme une imperfection qui ne se laisse pas saisir dans une illumination (idéale). Hegel écrit ainsi dans ses Leçons d’esthétique :
On peut toutefois observer que le beau artistique est plus élevé que celui de la nature. […] En effet, la beauté artistique est la beauté engendrée et réengendrée par l’esprit et, de la même façon que l’esprit et ses productions sont plus élevés que la nature et ses phénomènes, de même le beau artistique est plus élevé que la beauté de la nature .
L’idée de la beauté qui naît d’une théorie esthétique du paysage et qui peut être considérée comme bien universel, une qualité que nous ressentons commune à tous les êtres, est un objet de contempla tion grâce à laquelle l’homme comprend et est coin pris dans la nature. La vie y revêt une forme qui trouve sa fin et sa justification propre en elle-même, Quand nous sommes émus et que nous admirons tout ce qui est beau, nous avons l’impression d’être presque infinis nous-mêmes, au même titre que la nature à laquelle nous avons le sentiment d’appartenir. Ainsi se déploie Line sorte d’épiphanie du visible où le beau et l’utile, le ravissement psychologique et le travail sont dans un rapport strict. En même temps, nous sentons que la fatigue de l’homme s’unit à cet idéal. Le sujet disparaît dans le tourbillon de la sensibilité et de l’intuition des formes.
Le thème implique même d’éventuelles questions théologiques, dans une révocation des mythes et des fondements des traditions culturelles. Mais cette esthétique prend aussi en compte la dimension anthropologique. Dans le cadre d’un discours sur l’idéal retrouvé et renouvelé, nous devons penser aussi bien à une beauté qui apaise, à une Muse qui rassérène, liée à la contemplation, qu’à une beauté qui inquiète, à une Muse qui va au-delà de la contemplation, rendue fébrile par le désir attaché à l’expérience et portée par un élan continuellement agissant du moi, entre les caractères de l’intériorité et de l’extériorité, du mystère et de la réalité. Dans ses divers développements, elle transcende les fonctions et unit, pour nous servir d’une pensée suggestive d’Assunto, la voluptas des sens à la délectation de la contemplation qui se constitue finalement en heatitudo momentanée. De cette façon, le beau sera présent en même temps dans la brièveté de l’existence réelle et dans le dessin d’une souveraineté impérissable de l’être.