L'art du paysage : évolution des catégories esthétiques
Le commencement. La libre contemplation de toute la nature, à partir de la Grèce antique, est le domaine de la philosophie mais, au cours du temps, cette totalité meurt. Le paysage se sépare de la théorie du cosmos et, dans la représentation de l’homme, la nature est perçue à travers lui. C’est une perte placée sous le signe de la lacération et du réemploi, que l’on trouve souvent évoquée dans la poésie romantique. Maintenant, de surcroît, le paysage est vu comme invention ou substitution de la nature.
Le développement. La beauté naturelle, qualité de l’univers placée sous le signe de l’harmonie, de l’ordre et de la sérénité, se divise en une série de déterminants esthétiques. Les limites spécifiques d’une esthétique du beau au sens strict s’élargissent alors. Au XVIII c‘ siècle, en particulier, après un long processus de1 transformations du goût, nous assistons à révolution des réflexions sur le sublime et sur la grâce, à la qualification de pittoresque et au revival gothique.
Comme nous l’a appris Cassirer dans son Essai sur l’homme [1944, trad. fr. 19751, la beauté doit être définie dans le cadre d’une activité de l’esprit en se référant à une orientation spéciale de la fonction perceptive. Elle ne consiste pas en un processus à caractère simplement subjectif ; au contraire, elle est une des conditions pour l’intuition d’un monde objectif.
L’œil artistique n’est pas un œil passif qui se réduirait à un pur enregistrement. C’est un œil constructif qui peut rehausser la beauté des choses. Le sens de la beauté vient du fait de se reconnaître dans la vie dynamique des formes, vie qui ne peut être choisie qu’au moyen d’un processus dynamique qui se déroule en nous-mêmes et qui lui correspond. Cette polarité a entraîné des interprétations diamétralement opposées. D’un côté, la découverte ou le fait d’extraire la beauté de la nature, de l’autre, la négation d’un rapport quelconque entre la beauté de la nature et la beauté du paysage ; pour l’essentialisme de Croce, apprécier esthétiquement un fleuve ou un arbre relevait du domaine de la rhétorique et non pas de l’univers théorétique de l’intuition-expression. Peut-être, dit Cassirer, peut-on dépasser la contradiction en distinguant entre beauté organique et beauté esthétique. La beauté esthétique que l’on perçoit dans les œuvres d’un grand paysagiste est différente de celle que l’on peut percevoir sans la médiation directe de l’art. La distinction de Cassirer est utile, même si elle sert surtout à comprendre le lait perceptif, dans la mesure où le processus de perception, comme on l’a dit jusqu’à présent, est une transformation continue de ces deux états, le plaisir immédiat des sens et de l’imagination, d’un côté, et le plaisir médiatisé par la culture artistique, de l’autre. Il est risqué d’annexer la beauté esthétique du paysage au paysagisme pittoresque et au monde affectif dont il provient.
Une réflexion de Kant peut encore nous orienter dans cette discussion :
La beauté naturelle indépendante nous découvre une technique de la nature, qui la rend représentable comme un système d’après des lois dont nous ne rencontrons pas le principe dans notre entendement tout entier : ce principe est celui d’une finalité en rapport à l’usage de la faculté de juger dans la considération des phénomènes, de telle sorte que ceux-ci peuvent être jugés non seulement en tant qu’appartenant à la nature dans son mécanisme sans finalité, mais aussi dans la nature considérée par analogie avec l’art. Cette finalité n’élargit donc pas effectivement notre connaissance des objets de la nature, mais notre concept de la nature qui, de concept de la nature en tant que simple mécanisme, est étendu jusqu’au concept de la nature en tant qu’art 1790 .