Lorsque aucun tabou ne subsistera:Dubuffet, iconoclaste et perturbateur
Dubuffet a-t-il été « l’unique artiste par qui le scandale arrive encore… ? » s’interrogeait Gaétan Picon. A en juger par les injures ou les qualificatifs douteux dont il a été
gratifié, cet art sauvage, volontairement outrancier, cette démarche d’iconoclaste usant de matériaux vulgaires ou grossiers, ont été le vitriol d’une époque. Sans doute le peintre a-t-il été le dernier à focaliser l’insulte ou la dérision qu’il revendiquait comme un règlement de comptes naturel à l’égard d’une activité culturelle qualifiée de répressive ou d’asphyxiante.
Ses Texturologies et Matériologies provoquent, par leur 69. confusion entre l’organique, le minéral et le végétal, la plus provocante ambiguïté entre le réel et l’imaginaire, le réalisme et l’irréalisme, l’être et le non-être. Autodidacte, promoteur de l’art brut, Dubuffet choisit toutes les voies pour échapper aux pratiques conventionnelles, séduit les poètes tout en révoltant le public.
Le scandale mué en mythe bourgeois se libère avec Dubuffet de ses accusations subversives ou provocatrices, et devient un langage de remise en question. Une projection aléatoire sur l’avenir que le musée accueillera tardivement et du bout des doigts. Dubuffet assumera en solitaire son éclectisme stylistique imprécateur.
Le scandale a lassé les artistes et s’est mué en parodie.
Progressivement le public a été appelé à prendre sa part de complicité dans l’action provocatrice engagée par l’artiste. Parodies de scandales devenus spectacles, les « colères » d’Arman qui détruit à la masse un appartement entier, les « empaquetages » monumentaux de Christo, la machine à faire de la peinture abstraite de Tinguely, les affiches lacérées de Hains et Villeglé, les « expansions publiques » de César, transforment le spectateur en acteur.
Le dépassement de l’art et de l’esthétique se fonde sur le clivage entre celui qui agit et celui qui juge ; il est souvent le même d’ailleurs.
Le scandale est entré dans l’actualité quotidienne, il est devenu contemporain au même titre que l’œuvre d’art. Complice de l’ordre social.
Pierre Molinier, jouisseur masqué.
André Breton appréciait la peinture troublante aux dédales magiques, tourbillonnante de couleurs fauves, du solitaire Pierre Molinier qui, indifférent aux scandales qu’il suscitait, ne quitta guère son réduit bordelais. Les fantasmes de ses tableaux aux inquiétants symboles psychiques ont nourri l’intimisme érotique de ses photographies où il est à la fois homme – lui-même – et femme aux parures de lingerie fétichiste.
Ainsi Molinier se transforme-t-il en jouisseur masqué ceint d’un porte-jarretelles, guêpière, bas résille noirs et escarpins vernis à talons aiguille, démultipliant en un rituel narcissique le désir d’être l’autre en demeurant caché dans ses attributs féminins. Cette transsexualisation exacerbe ses obsessions, celles aussi des entremêlements sensuels et cruels de ses tableaux aux étreintes vampiriques.
Pierre Molinier a réalisé une œuvre double, peintre aux angoisses névrotiques dont l’une de ses toiles jugée licencieuse fut refusée naguère au Salon des indépendants bordelais, il est aussi ce travesti violant dans son retirement pathétique de vieillard féminisé tabous et interdits dans le seul but d’assouvir d’irrépressibles désirs.