Techniques du raku historique
La poterie raku, dont le corps demeure poreux et reçoit pour revêtement un verre très fusible, est très proche, comme nous allons le voir, en équivalence purement technique, de certaines céramiques occidentales. C’est le cas des « terres à feu », présentes ordinairement dans les cuisines européennes depuis l’époque médiévale; il est à préciser que ces poteries communes, lorsqu’elles sont émaillées (vernis plombifère ou blanc stannifère), « trésaillent » toujours car il existe peu de revêtements vitreux en mesure de s’accorder avec ces pâtes. L’évolution des styles est marquée par le choix des glaçures : plombifère transparente, noire au fer, mate ou brillante, monochrome ou ponctuée de points rouge de cuivre, émaux blancs ; quelques pièces adoptent des décors figuratifs, esquissant fleurs et personnages. La distinction avec les autres céramiques tient à la destination des œuvres raku : objets précieux, de vénération même, elles sont issues d’une production parcimonieuse et promises à une élite, ce qui tisse une relation exceptionnelle entre l’homme du feu et son commanditaire. Alors que le grès et la porcelaine sont cuits dans de grands fours qui, en Occident, se perfectionnent jusqu’à atteindre plusieurs étages, le raku se cuit dans de très petits appareils, établis selon le principe d’un moufle, sorte de gazette munie d’un couvercle et contenue dans une structure en briques.
Le but à atteindre — la personnalisation de chaque pièce — s’oppose à la reproductibilité exigée par nos manufactures dans lesquelles tout tend à bannir le hasard. Même si, au XVlir siècle, l’usage de moufles pour cuire une seule assiette se généralise en Europe pour les peintures fines sur porcelaine ou faïence de luxe, l’esprit est tout autre car ces cuissons ne font que conclure avec fiabilité l’opération artistique. Les cuissons raku apportent une vision originale de la vitrification, elles participent à l’acte créateur par leur rapport privilégié avec l’accident naturel, chacune d’elles est un moment unique dans lequel le feu possède sa liberté et la scelle dans l’œuvre. Bien que les caractéristiques des fours aient fait l’objet de plusieurs publications, il est nécessaire de préciser qu’ils n’ont pas toujours existé sous des formes figées et que, probablement, des modèles utilisés pour d’autres cuissons ou pour des circonstances particulières ont pu être construits ou adaptés. La diversité des glaçures est aussi très vaste ; même si nous disposons de formules et de compositions anciennes, celles-ci ne revêtent plus qu’un caractère documentaire, comme produire des reproductions ou des imitations. L’usage du plomb est aujourd’hui en régression.
Le raku noir
Sa terre, cuisant blanc, révèle subtilement les glaçures colorées par les roches ferrugineuses et leur transparence grâce à l’épaisseur vitreuse ou à la concentration de pigment. L’atmosphère du four et la direction des flammes modifient, par endroits, le ton de rouille sombre tacheté de carbonisations. La surface s’illumine des facettes cristallines piégeant la lumière. Les fours pour le raku noir ne contiennent qu’une seule pièce, l’espace entre les parois est rempli de charbon de bois.
Le raku rouge
Cette poterie respecte la terre et demande à l’émail d’en exacerber les nuances. Façonné dans une terre ferrugineuse, engobée ou non, qui se teinte au biscuitage en rouge plus ou moins ocré, le raku rouge se parsème de traces de réduction et d’oxydation, quelquefois obtenues par une cuisson à basse température, dite intermédiaire (entre le biscuitage et l’émaillage). Le refroidissement est simplement mené à l’air et la glaçure plombeuse prend des couleurs multiples et même contrastées : elle tresaille sur le fond de terre rouge qui apparaît sous une transparence quelquefois laiteuse, parsemée de facules irisées et de taches noires, vertes, brunes, violacées. La plus ancienne production de Chôjirô serait des raku rouges dont la couleur rappelle les nuances sourdes et chaudes du kaki.
Le raku blanc
Moins fréquent, il se pare d’une glaçure opalisée (dite kôro-giisuri) avec une vigueur variable due à l’étain : la peau, onctueuse et satinée, est souvent burinée d’un beau réseau de tressaillures, reflet des tensions entre la terre et le verre. Des bols, mais aussi des brûle-parfums en forme de lion furent ainsi réalisés par Jôkei (?-l635).
La technique d’Onisaburo
Cet artiste exceptionnel (1871-1948), qui n’appartient pas à la famille raku mais dont le travail passe aussi par les cuissons rapides et en développe des aspects originaux, fait l’objet, en 1975, d’une exposition au musée Cernuschi, à Paris. Sa manière originale combine un émaillage sur cru puis la pose des pigments sur cuit et, enfin, le recouvrement par une glaçure.
Le raku dans l’histoire occidentale
Alors que la porcelaine japonaise est introduite en Europe, vers le milieu du XVIe siècle, par les Portugais, les missionnaires jésuites, les Espagnols puis les Hollandais, la poterie de terre ou de grès pour le thé demeure presque inconnue, jusqu’à l’apparition du Japon dans les Expositions internationales, à Londres en 1861, à Paris en 1867, à Vienne en 1873. L’une des plus anciennes relations écrites concernant le raku est donnée par les Anglais G. A. Audsley et J. L. Bowes, dans leurs sept livraisons publiées, entre 1877 et 1879, sous le nom de la Céramique japonaise. Albert Racinet en dirige une édition française (1881). Le propos générique détaille les différentes variétés de céramiques japonaises, mais il ne parle pas de celle dite « raku » qui n’apparaît que dans le chapitre « Fabriques de Kioto » (Kyoto). Là, Audsley précise aussi que cette céramique « n’a rien de beau par elle-même ». La traduction française est illustrée par des céramiques dites « genre raku »: un brûle-parfum, un bol à thé portant la marque de Chôjirô, un autre d’un travail rugueux sur lequel sont esquissées des cigognes, un vase éclaboussé de vert, avec un dragon en or. Ces objets de la collection James-L. Bowes ne sont plus aujourd’hui totalement représentatifs de cette céramique raku, notamment depuis les travaux menés, tant dans les collections occidentales qu’au Japon avec les études de Koyama Fujio (1900-1975). Jacquemart ignore-le raku dans ses Merveilles de la céramique (1868) et Garnier ne le mentionne pas dans son Dictionnaire de céramique (1897). Le musée national de Céramique à Sèvres bénéficie, en 1878, d’un don important de la Commission impériale japonaise consistant en de nombreuses céramiques, dont plusieurs pièces des potiers raku. Tadannara Hayashi, en visite au musée en 1886, donne quelques explications recueillies dans le registre des entrées : « Rakou, nom de potier à Kioto, devenu le nom de ce genre de poterie »; puis, en 1903, il complète cette collection par un don personnel. Le Catalogue du musée des Arts et Métiers indique qu’il existe, dans ses réserves, un bol à thé du XVIir siècle, en porcelaine gris et rouge, acheté en 1888. Le musée Guimet conserve également quelques œuvres, ainsi que le musée Cernuschi et le musée des Beaux-Arts de Lyon.