L'Art : le nu
Le nu, représentation du corps de la femme, de l’homme ou de l’ enfant, est un thème qui traverse les arts du monde méditerranéen, depuis la préhistoire jusqu’à nos jours. Le nu est tellement fondamental pour la sensibilité esthétique des civilisations occidentales qu’il est à la fois un sujet d œuvres d art et un moyen d’expression – de sentiments, de passions, de rêves et d’idéaux.
Chaque époque, chaque culture peut ainsi dire quelque chose de différent à travers la représentation du nu : du corps idéal, parfait, de l’être humain pensé comme création divine (Adam et Eve, avant le péché, vivaient nus au paradis terrestre, nous dit la Bible) aux imperfections, voire à la misère du corps déshabillé, fragile, parfois honteux de cette nudité même.
Les dieux nus de la Grèce et de Rome
Le bannissement du nu au Moyen Âge
Pendant mille ans ou presque après l’Empire romain, les anciennes divinités sont détruites, enfouies ou délaissées : elles sont considérées comme les idoles païennes d une civilisation révolue. Le christianisme élève la pudeur au rang de vertu, toute nudité se cache, se voile, se dissimule. Toute ? Non, car dès le V1 siècle se dresse, objet d’adorations et de prière, le corps de Jésus crucifié.
Le corps souffrant du Christ sur la Croix est fait pour nous détourner du temporel, et nous convertir au spirituel. Ce corps nu, juste voilé d’un pagne, représente le versant humain du rédempteur, et non le corps de gloire du Ressuscité. Ainsi le corps de Jésus est-il montré dans la souffrance, la trace des tourments infligés par les bourreaux restant visible : la blessure au liane, les trous dans les mains et les pieds cloués sur la Croix, les égratignures au visage causées par les épines de la couronne… Selon les époques et les sensibilités, le corps du Christ semble insensible à toutes ces souffrances ou au contraire meurtri, supplicié. Dans le Retable d’Issenheim de Grünewald (p. 221), cette image de douleur est insoutenable.
Entre l’idéal et l’humain : les nus de la Renaissance
Imiter l’Antiquité, chercher à atteindre un idéal d harmonie et d’équilibre : voilà les principes de création des sculpteurs italiens de la Renaissance. Le nu constitue pour eux un sujet de prédilection. Ils cherchent aussi à traduire, dans leur art, les principes de 1’humanisme, ce nouveau courant de pensée qui remet l’homme – et non plus Dieu, comme cela avait été le cas au Moyen Age – au centre de toute réflexion philosophique.
Ils scrutent le corps de l’homme, ils étudient l’anatomie et s’exercent à la dissection pour le connaître dans tous ses détails. Au XVI siècle. Miciikl- Ange est passionné et tourmenté par le nu : son David célèbre la puissance éternelle du héros victorieux, la série des Esclaves (p. 244) évoque au contraire le frémissement de la vie; ces corps athlétiques portent les traces des atteintes du temps, de la douleur ou même de la mort imminente. corps qui expriment toutes les passions fondamentales de la vie : ils s’enlacent dans l’étreinte amoureuse (Le Baiser, p. 263), se tordent
Les grâces décoratives du nu
Mais les nus qui sont légion aux corniches des palais, dans les bassins des parcs ou, en petits formats, sur les cheminées ou les tables des demeures richement meublées n’ont qu’une simple fonction décorative. Nombreuses aux XVIII’ et XIXe siècles, ces sculptures de nus. le plus souvent de femmes et d’enfants, ont pour fonction de distraire l’esprit et non de faire réfléchir. Les sculpteurs font donc appel à îles personnages de la mythologie : Vénus, amours, nymphes et néréides – leurs sœurs marines , pour séduire et charmer les yeux. Ces figures féminines sont faites pour plaire : les formes de leur corps sont le plus souvent conçues pour satisfaire le regard masculin.
Le pouvoir expressif et symbolique des corps
A la fin du XIXesiècle, le plus grand des sculpteurs français, Auguste Rodin, réagit contre cette utilisation gracieuse mais parfois un peu mièvre du nu; il entreprend de modeler des
dans les tourments (La Porte de l’Enfer), ou se replient sur une réflexion silencieuse et intérieure (Le Penseur). Pour rendre encore plus significatifs ces corps humains, Rodin les fragmente et parfois les ampute.
Ce pouvoir symbolique du nu sculpté est toujours sensible au XXe siècle, avec de saisissantes déformations : après la douce plénitude des femmes de Maillol, les personnages filiformes de Giacometti suggèrent immatérialité de silhouettes tendues vers quelque chose d’inconnu. Remettant les rondeurs à l’honneur jusqu’à l’exagération des volumes, un artiste contemporain comme Botero montre que le nu continue d’inspirer la sculpture.