Espaces libres ou publics ?Une doctrine muette
À l’époque de la construction de ces ensembles de logements, l’espace de la ville n’était pas « public » mais « libre » ou « libéré ». j Cela induit sans doute un décalage entre notre lecture de ces espaces et celle de l’époque. Pour les modernes, c’est l’augmentation de la « surface libre » qui compte, pour rompre avec la congestion malsaine des villes anciennes. La quantité prime donc, d’autant que la qualité n’est pas définie : sur ce point la doctrine est totalement muette. Entre l’échelle de l’urbanisme, avec son zoning et ses flux séparés, et celle du bâtiment, assemblage de cellules, on constate une absence de théorisation et de définition de l’espace collectif, tant dans les textes de référence tels la Charte d’Athènes que dans les directives institutionnelles encadrant le développement des grands ensembles.
Les deux versions de « la Charte d’Athènes »
A dix ans d’intervalle, Le Corbusier publie deux versions des travaux du IVe congrès des CIAM qui eut lieu en 1933. La première est une version brute de la séance de clôture du colloque 3, tandis que la seconde est la célèbre Charte d’Athènes, publiée en 1941. Il est intéressant de comparer les deux textes.
Se limitant à des principes généraux, le premier est plus austère, plus bref et plus précis. Le second effectue quelques déplacements conceptuels conséquents en introduisant par exemple le terme de « zonage » alors que le premier texte mentionnait simplement que « l’urbanisme doit fixer les relations entre les lieux consacrés respectivement à l’habitation, au travail et au loisir selon le rythme de l’activité quotidienne des habitants ». Du contrôle des relations on passe à la séparation des fonctions,ce qui est lourd de conséquences. De fait, sur bien des points, la Charte d’Athènes se veut plus opératoire. Elle cherche à donner une dimension pratique aux principes théoriques. C’est ainsi que Le Corbusier recourt au classement (des espaces, des fonctions…) et à quelques prescriptions précises comme des « espaces de 200 à 400 mètres » entre les croisements des rues et deux heures de soleil par jour dans chaque logis au solstice d’hiver. Mais ces données restent trop partielles pour être utiles, ce qui ne donne à la Charte qu’une apparence opératoire. Alors que les modèles théoriques de l’entre-deux-guerres, comme la Ville contemporaine de trois millions d’habitants, présentaient un discours iconographique, imprécis mais présent, la Charte supprime toute image, donc toute information sur la conception des espaces libres. Il ne subsiste à ce sujet que des principes généraux : « la maison ne sera plus soudée à la rue par son trottoir », les « surfaces vertes » feront l’objet d’une hiérarchisation fonctionnelle avec de « simples pelouses, plus ou moins plantées d’arbres, entourant la maison » d’usage quotidien, de vastes surfaces destinées à un usage hebdomadaire qui doivent être « de véritables prairies, des forêts, des plages naturelles ou artificielles » 4… Mais les formes et les statuts de ces espaces ne sont jamais explicités.
Même s’ils souscrivent massivement à ces principes, les architectes modernes ne peuvent se contenter de la Charte d’Athènes lorsqu’ils conçoivent leurs ensembles de logements. Ils doivent constamment avoir recours à d’autres modèles et d’autres traditions urbaines, parfois en contradiction avec les idéaux modernes.
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