Espace public moderne,à la recherche d’un concept absent?
Poser la question de l’espace public moderne, c’est tenter d’interroger des faits dont le concept est absent dans les théories qui ont produit l’urbanisme dit « moderne ». Le terme même d’espace public est pratiquement inconnu dans le discours théorique précédant ou accompagnant la production des grands ensembles et des ZUP. En fait, le vocable d’espace public était déjà peu usité auparavant, notamment au XIXesiècle, si ce n’est dans une acception très juridique ; on préférait des termes plus précis : voirie ou voie publique, promenades, parcs ou jardins publics, etc. Il s’agissait là d’une terminologie qualitative qui signifiait clairement le règne de l’autorité publique sur la conception, la réalisation et la gestion de ces espaces, par opposition au domaine privé.
Cette antinomie public-privé disparaît dans l’idéologie du modernisme, fondée sur la critique de la propriété privée, les visions héritées des utopies sociales du XIXe siècle et la priorité accordée à la dimension collective.
La limite entre privé et public est considérée comme dépassée par les principaux acteurs de la politique des grands ensembles dans les années soixante. Un haut responsable de la SCETl’énonce hardiment en 1962 : « Au stade de la conception, il convient de faire totalement abstraction de la nature juridique ou administrative des espaces libres qui seront équipés pour la satisfaction des besoins communs d’un même ensemble. Il serait, en effet, désastreux d’être amené à modifier des dispositions rationnelles pour des considérations de domanialité ou d’affectation budgétaire alors que les équipements forment un tout sur les plans fonctionnel, technique et esthétique. Il faut que les règlements administratifs s’accommodent des réalités et n’imposent pas des limites artificielles, des distinguos théoriques car ils ne constituent certainement pas des critères absolus. »
A partir de cette idée de « libération du sol », une grande confusion s’installe, tant juridique que sociale, temporelle et spatiale. Elle explique les difficultés d’un découpage du sol fait a posteriori, qui perdurent dans nombre de ZAC d’aujourd’hui.