La voirie moderne à la recherche de "règles de l'art"
Le retour à l’idée de rue domine les interventions récentes sur l’espace public moderne. La référence est séduisante : la rue traditionnelle, ordinaire, rassemble et organise en un dispositif unique des fonctions nombreuses et complexes, dans un partage rigoureux de son emprise. L’usage de l’espace n’est pas pour autant surdéterminé, et ce type de voirie a su remarquablement s’adapter à des usages et à des contraintes à l’origine imprévisibles. Est-il possible de transposer ce modèle dans la restructuration des quartiers « modernes », ou même dans les nouvelles ZAC ?
On a pris l’habitude de vider la rue de son rôle de distribution et d’échange diffus et les fonctions dites « nobles » qui en faisaient l’animation lui tournent maintenant souvent le dos. Dans quelles conditions est-il dès lors possible de « retourner » l’organisation des ensembles d’habitation ?
Le stationnement le long des voies constitue la clé d’une possible évolution : véritable interface entre l’automobiliste et le piéton, c’est le lieu où l’automobiliste devient un piéton. Hier banni au nom de la fluidité du trafic, le stationnement le long des voies apparaît aujourd’hui comme facteur de régulation de la vitesse, donc de sécurité pour les piétons. Il est d’abord souvent pratiqué de manière « sauvage », là où on ne l’attend pas ; il est ensuite régularisé (ainsi à Brasilia, les commerces initialement tournés vers l’intérieur des îlots se sont depuis retournés vers les voies, qui doivent maintenant assumer le stationnement riverain).
En ce qui concerne la gestion des carrefours, le croisement à angle droit reste le plus simple et le plus rationnel, avec une gestion par feux tricolores.
Ces solutions sont éprouvées et reconnues dans le cadre d’une forme urbaine traditionnelle, ordinaire, clairement constituée. Mais qu’en est-il lorsque cette forme urbaine est pratiquement inexistante ?
Sur les territoires de l’ambiguïté, ceux de la ville moderne, se développent des modèles plus ou moins fantaisistes. Leur conception procède par accumulation de dispositifs réputés compensatoires, palliatifs ou correctifs : chicanes, quilles, « gendarmes couchés », différenciation des revêtements de sols, carrefours giratoires, etc. Une théorie psychologique de l’inconfort justifie l’invention de nombreux obstacles, conçus pour diminuer la commodité de la conduite automobile. La ligne droite est ici jugée responsable de la vitesse, alors qu’elle est considérée par les ingénieurs routiers et par les urbanistes rationalistes comme le tracé le plus simple et le plus sûr, et qu’il existe des moyens rigoureux de gérer la vitesse en ville.
Les parcours complexes ne risquent-ils pas de fixer l’attention des automobilistes sur la conduite, la trajectoire, au détriment de ce qui se passe sur les côtés ? De tels dispositifs ne rentrent-ils pas en conflit avec la signalisation réglementaire, déjà parfois peu lisible ou peu crédible ? Et, sous le prétexte de « végétaliser » l’ambiance urbaine, ne reproduit-on pas un environnement typiquement routier ? Pour l’instant, la fantaisie des concepteurs remplace souvent des « règles de l’art » oubliées ou encore peu codifiées.
Il est aujourd’hui difficile de faire une véritable évaluation de ces dispositifs ; contrairement aux problèmes de sécurité routière en rase campagne, ils ne semblent pas avoir fait l’objet d’expérimentations véritablement scientifiques . L’observation sur le terrain montre cependant quelques dysfonctionnements notoires et l’on assiste à une usure accélérée des idées, à une succession parfois rapide des interventions. En fait, ce type de conception semble s’attacher davantage à l’effet d’image qu’à une réalité objective du fonctionnement ; au demeurant, l’idée subjective que l’on veut s’occuper de sécurité a une incidence certaine sur le comportement des automobilistes, mais dans quelle mesure précisément ?
Entre fonctionnement et image, un équilibre reste à trouver dans la conception de la voirie urbaine moderne, pour définir des « règles de l’art » qui dépasseraient la seule subjectivité des concepteurs. La nouvelle « expérimentation en vraie grandeur » que suppose aujourd’hui la requalification de la voirie des grands ensembles nécessite sans doute plus de prudence que n’en ont eue leurs créateurs… La question demeure de redéfinir les limites de l’espace public, pour reconnaître les compétences, les responsabilités et l’initiative de chacun.
Vidéo : La voirie moderne à la recherche de « règles de l’art »
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : La voirie moderne à la recherche de « règles de l’art »
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