Remembrement-démembrement
Dès le début des années soixante, Melvin Webber remarquait que la ville nord-américaine était en train de se transformer en domaine urbain non-spatial1. Il en déduisait que les communities ou quartiers d’habitation devenaient des « systèmes ou des processus spatialement extensifs » et que l’essence de la vie urbaine devenait « interactive et non plus locale ». Si la ville est effectivement une vaste grille de connexions, composée d’un réseau visible de transports et d’un réseau invisible de communications et de flux, le sentiment de l’espace devrait s’en trouver radicalement modifié. Naguère exprimé par la place centrale et les axes qui y conduisent, l’espace public aurait aujourd’hui tendance à devenir mobile et furtif, sinon immatériel : le patio du centre commercial, la rampe d’accès à l’autoroute, le parking…
Il est exact que l’intégration européenne, la désindustrialisation, la décentralisation, le déclin du Welfare State et la fluidité accrue des travailleurs et du capital tendent à réduire le nombre d’emplois et le nombre d’habitants en centre-ville. Ils donnent en même temps une nouvelle chance à la périphérie qui pourrait devenir « Los Angeles dans un bon jour »… C’est globalement la thèse défendue par Paul Virilio, Wim Wenders, Jean Nouvel et Rem Koolhaas, qui met l’accent sur la fluidité et a tendance à faire du shopping mall le nouveau condensateur social. De fait, même si les périphéries ont toutes une histoire nationale spécifique, le problème architectural dominant aujourd’hui est celui de la transformation des zones intermédiaires entre centre historique et nouvelles implantations. Et tout spécialement en France les « banlieues » collectives des Trente Glorieuses, que l’on nomme ceinture rouge, grands ensembles ou ZUP.
Si la réflexion sur l’habitat collectif en périphérie hésite depuis des années entre nostalgie (le Paris de Rambuteau, les HBM, les cités-jardins) et utopie (Fourier, Morris, les constructivistes) c’est sans doute que ces pôles paraissent réconcilier civilité et urbanité comme « valeurs concrètes » 2. Et les architectes ont une tendance (naïve ?) à penser que les quartiers périphériques sont « barbares » parce qu’ils ne sont pas « urbains », et qu’ils ne sont pas urbains parce que les espaces non bâtis n’y sont pas «publics ». Reste à savoir comment et pourquoi nos devanciers se sont trompés dans la distribution des vides et des pleins en périphérie. Est- il encore possible, comme le croient par exemple Léon Krier et le prince Charles 3, d’induire la civilité en mimant l’urbanité ? Faut- il au contraire, à la suite de Koolhaas et des déconstructionnistes4, pousser la logique moderne à l’absurde pour lui échapper ?
Vidéo : Remembrement-démembrement
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : Remembrement-démembrement
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