Plaidoyer pour une morphologie hybride
Notre propos n’est donc pas d’opposer des schémas urbains préétablis à «l’autre ville». Nous constatons l’impossibilité d’un retour en arrière d’un demi-siècle vers la « modernité canonique ». Mais nous constatons également l’impossibilité d’un retour en arrière de deux siècles vers la « ville européenne » néoclassique. Nous ne pouvons donc qu’accepter le caractère hybride des grands ensembles arrivés à maturité. Le problème est celui du contrôle de ce caractère. Une piste pour y parvenir serait la reconstruction de ces quartiers sur eux-mêmes, après redécoupage temporaire des espaces privés et formalisation définitive des espaces et des services publics dans leur totalité – voirie, réseaux et espaces « libres ». La réhabilitation des grands ensembles telle qu’elle s’est opérée depuis une quinzaine d’années achoppe en effet sur ce point : les espaces libres y sont constamment modifiés, parsemés de bacs à fleurs ou encombrés de nouveau mobilier urbain, alors que le système viaire n’est que très rarement remis en cause et que les réseaux invisibles sont totalement conservés.
Nous proposons de fixer dans le long terme (plus d’un siècle ?) les espaces publics, la végétation publique et les réseaux publics. Cette formalisation passera par la conservation d’un maximum de plantations et de vastes prospects, tâche gratifiante et relativement aisée. Mais elle devra s’accompagner de modifications plus coûteuses et problématiques, comme la destruction de voies en boucle et de réseaux en pieuvre existants, préalable à la création d’espaces véritablement publics. Leur existence permettra seule d’atteindre à une cohérence et une pérennité des quartiers. Ce travail urbain accompli, l’espace architectural privé des parcelles et du bâti pourra être laissé à la juxtaposition et au renouvellement libéral, sinon anarchique, du foncier et de la construction.
Encore faut-il noter que le volontarisme urbain a ses limites : l’espace public n’existe que par rapport à des parcelles réellement privées — absentes de nos grands ensembles qui ont été justement conçus sur leur négation. L’exemple des villes nouvelles françaises et de « Banlieues 89 » montre assez que le tracé de « cheminements, mails et placettes » ne suffit pas à assurer l’urbanité. Le contre-exemple des banlieues pavillonnaires américaines (tract housing) démontre que la parcellisation à l’infini produit sans doute de la voirie, très rarement de l’espace public. Dans les grands quartiers d’habitat social hérités des Trente Glorieuses, il faudra sans doute figer l’espace public et fluidifier la propriété foncière dans le même mouvement. Vaste tâche qui exige de gros moyens, afin de reconstruire juridiquement les espaces privés et publics avant de les matérialiser, puis de les réinvestir.
Vidéo : Plaidoyer pour une morphologie hybride
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