Les problémes actuels de la programmation urbaine
Les moyens alloués à la programmation sont rarement à la hauteur de ses enjeux : la bonne exploitation des études préalables, l’élaboration et la hiérarchisation des objectifs, la maîtrise des investissements et des coûts de fonctionnement, etc. Outre la rareté relative de l’argent public, quelques raisons expliquent la défaveur envers la programmation urbaine : parfois, l’hostilité d’une maîtrise d’ouvrage ne souhaitant pas assumer une formulation explicite de ses objectifs et préférant choisir une image qui y correspond en même temps qu’elle les masque ; plus souvent, sa crainte d’avoir, par manque de crédits, à réduire ou reporter des projets connus des administrés ; la méfiance d’une partie des « architectes urbanistes » qui voient d’un mauvais œil un nouveau partage des tâches et du savoir sur l’espace ; l’insuffisance ou l’impertinence de l’offre des programmateurs si l’on admet que, dans une large mesure, c’est l’offre qui fait la demande.
Ici se posent de nouvelles questions : sur quels savoirs l’offre d’expertise des programmateurs est-elle fondée ? Leur offre, dans ses dispositifs contractuels, est-elle adaptée au temps long de l’aménagement urbain, aux aléas du marché et aux inévitables négociations partenariales ?
L’expertise des programmateurs urbains est fondée sur quatre champs de savoirs dont le dernier est le plus problématique :
—Les savoirs procéduraux et financiers mobilisés dans le montage d’opérations. Ces savoirs, que les programmateurs doivent partager avec les conducteurs d’opérations, sont assez bien constitués et diffusés dans des guides et publications diverses. On peut cependant regretter leur présentation codifiée, peu historique, qui décourage la recherche d’innovations.
— Les savoirs sur les logiques sectorielles et professionnelles des différents agents qui aménagent et gèrent les villes. Ces savoirs sont nécessaires à l’élaboration de stratégies et à la recherche d’objectifs consensuels. Ils sont très généralement issus des travaux de sociologie des institutions et organisations, notamment des recherches portant sur la recomposition des tâches et compétences dans le secteur de l’aménagement.
– Les savoirs, heureusement bien capitalisés et d’accès public, sur le processus de formation des villes et sur la morphologie qui en résulte. Même s’ils sont appliqués aux sites d’intervention, ces savoirs devront toujours être ressaisis, approfondis et spécifiés dans les études préalables à la formulation d’objectifs puis dans les études de faisabilité. La ville est chargée d’inerties et de potentialités foncières, techniques, patrimoniales d’une part, économiques, humaines et symboliques d’autre part, qui constituent autant de données dont on ne peut faire table rase à la façon de Le Corbusier dans son plan Voisin.
– Enfin, les savoirs sur la pratique sociale urbaine. Ce domaine, moins connu que celui du logement, présente un grand déficit d’études et de capitalisation de leur résultat. C’est pourtant bien ce dernier corps de savoirs qui devrait être au centre de l’expertise des programmateurs urbains et en fonderait le caractère « insubstituable » pour reprendre un terme utilisé par Raymonde Moulin pour qualifier le savoir propre des architectes. Cette faiblesse des savoirs sur les pratiques sociales urbaines pourrait être invoquée pour mettre en doute la pertinence du travail des programmateurs, dont l’expertise manquerait de fondement. En effet, on ne saurait substituer les seules revendications des habitants ou institutions à la connaissance des pratiques sociales et des principes qui les génèrent et en règle l’évolution.
Par ailleurs, on peut se demander si les dispositifs contractuels, définissant la nature et l’étalement des missions des programmateurs urbains, parmi lesquels il faut compter nombre d’urbanistes, sont bien ajustés au temps long de l’aménagement et aux aléas du marché et des négociations. Cette question est notamment formulée par le « club des maîtres d’ouvrage d’opérations complexes » et par les chercheurs qui ont observé qu’au modèle de la planification hiérarchique se substituait tendan- ciellement un modèle de planification négociée.
En arrière-plan de ces réserves sur la pertinence opératoire de la programmation urbaine, apparaît une assimilation un peu rapide avec la programmation architecturale et technique. D’une tout autre nature, cette dernière est en effet invitée à formuler des prescriptions et recommandations pour une réalisation immédiate.
Les programmateurs urbains exposent ou devraient exposer une tout autre démarche que l’on pourrait qualifier de conseil et d’accompagnement. Les études-diagnostics, les premières propositions programmatiques et l’évaluation de leur impact et effets économiques directs et indirects participent du conseil et de l’aide à la décision. Mais les programmateurs urbains conçoivent ou devraient concevoir leur apport en termes d’archivage des dérives et ajustements, en sorte que les changements de cap soient toujours référés aux objectifs et parfaitement conscients. Comme le rappelle Armelle Baraton à propos des équipements de proximité :« Programmer l’évolutivité, cela paraît antinomique, mais c’est un défi particulièrement intéressant. »
Enfin, il y a une forte similitude entre programmation urbaine et programmation de réhabilitation de bâtiment qui emportent une évaluation des contraintes et des potentialités d’un site. Ici,pour l’analyse et parfois la production de scénarios, les expertises d’architectes ou de paysagistes sont nécessaires. Ce qui est alors en jeu, c’est la compatibilité entre site et programme.
Se pose aujourd’hui la question de la substitution d’un processus d’élaboration itératif entre le programme et le projet au processus linéaire antérieur qui donnait le prima au contenu sur la forme. L’inquiétude qu’actualise cette substitution n’est pas sans fondement : J.-M. Boyer s’émeut d’un déplacement de la responsabilité « du champ politique au champ artistique »11. Dans ce processus itératif, le projet deviendrait l’une des données du problème.
Peut-on faire basculer le projet, son imaginaire et son arbitraire culturel dans la sphère du « donné » en l’introduisant précocement, et d’un certain point de vue au même titre que la réalité ? La question théorique reste ouverte, mais depuis quelques temps la pratique expérimente cette démarche pour les raisons suivantes :
- Les producteurs culturels ou symboliques ne s’inscrivent pas dans la logique de l’ingénierie qui tend à rechercher la solution optimale, donc unique, à un problème, mais dans celle de la production de différence. Ils cherchent moins à répondre à un problème qu’à faire problème. La société selon son rapport à la nécessité et à la gratuité (on ne vit pas que de pain) l’accepte de mieux en mieux à condition que, en ces disciplines artistiques, l’artiste n’en abuse pas lorsqu’il s’agit d’objet de consommation, d’usage et de perception obligés.
- Le projet — du moins dans ses représentations médiatiques, il est vrai parfois trompeuses — est d’une lecture plus synthétique et moins besogneuse que celle d’un programme. D’une certaine façon, élus et habitants s’y projettent aisément au sens où l’on se projette dans la peau de certains personnages de romans, de théâtre ou de cinéma.
- La dernière raison doit plus fondamentalement au renouveau, d’origine italienne, de l’art urbain, et à la montée en puissance des « fabricants » de projets urbains. Ceux-ci, pour des raisons corporatistes sans doute, mais aussi pour des raisons de fond, ont su, en s’appuyant sur une certaine faillite de la planification et sur l’insuffisance de l’urbanisme réglementaire, faire prévaloir l’intérêt de leur démarche.
Ainsi, la programmation urbaine, qui n’est pas plus « vraie » que le projet et pas moins conceptuelle, va devoir, avec ou sans réserve, composer avec la nouvelle donne et considérer que des projets peuvent participer, certes avec un statut particulier, à l’univers du donné.
Vidéo : Les problémes actuels de la programmation urbaine
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