Des «idées»de l'homme de l'art comme «bien consommable»(et jetable?)
A Barcelone, cela a été maintes fois souligné, dans un contexte culturel plus favorable aux savoirs sur l’architecture et la ville, la réussite des infrastructures tient à un partenariat permanent entre architectes et ingénieurs, sur la base de projets urbains dont les concepts spatiaux ont été l’enjeu du contrat initial de l’opération et leur réalisation celui de son processus. Avec du recul, ce qui frappe dans l’expérience marseillaise, c’est la séparation nette et la disproportion qui existent de fait, et malgré le discours d’ouverture des ingénieurs, entre le puissant processus de production du projet routier qui avance sur ses rails, contrôlé de bout en bout par la technostructure, structuré par son modèle procédurier normalisé, la pesanteur des enjeux financiers, l’expérience, et la présence « gracile » du projet demandé aux concepteurs urbains, qui n’intervient qu’en supplément, épisodiquement et sans conséquence décisive sur la dynamique réelle de l’opération. Le rôle effectif joué par le projet Luscher dans cette dynamique est intéressant à examiner : il aura été d’abord l’arme conceptuelle de la stratégie offensive de l’ingénierie à l’attention de tous les partenaires et observateurs sur la scène de la concertation (tout autant qu’à l’attention de ses propres services jugés sclérosés, face auxquels les concepteurs auront eu à jouer un rôle d’« agitateurs culturels ») ; en même temps, plus concrètement, le projet aura servi de « boîte à idées » , ayant permis d’améliorer certains aspects du projet routier.
Aujourd’hui, les ingénieurs marseillais reconnaissent tout de même le sort malheureux du projet Luscher dans sa contribution à « un mauvais projet routier qu’il fallait réaliser au mieux » . D’autres opérations se préparent pour Marseille et son aire métropolitaine, où ils envisagent de solliciter les idées des concepteurs plus en amont du processus, au stade de la validation et de la concertation, puis ensuite en aval, après un travail d’intégration technique précise de l’infrastructure, interne à la technostructure et selon ses propres règles, par un appel à d’autres concepteurs, à base de concours, pour la mise en forme des ouvrages prédéfinis et leurs abords. Au total, l’ambition est bien celle d’insuffler le plus de culture urbaine possible dans la technostructure, mais pas encore de sortir les hommes de l’art de leur rôle de « donneurs d’idées » et de « décorateurs », pour instaurer avec eux le pilotage de la machine par le projet urbain, à l’instar, précisément, de l’expérience tant admirée de Barcelone.
Nous apercevons, dans ce domaine des nouvelles approches de la voirie rapide urbaine, en France tout au moins, combien le décalage entre les projets urbains et les réalisations peut être considérable. Une impression de duperie demeure… Les questions que posent ces trois cas d’étude semblent indiquer que l’évolution actuelle se situe moins dans l’élargissement de l’audience et du champ d’action des hommes de l’art que dans la reconnaissance implicite de leur « imagination » par les institutions d’aménagement opérationnel, et dans les stratégies concrètes qu’elles développent pour se servir à leur convenance de cette « imagination » comme d’un « bien consommable » , utile à l’élaboration d’un projet « urbain », urbain entendu seulement comme « collectif ». On peut y voir objectivement un progrès, l’effet de la lente progression du regard architectural sur la ville et sur le territoire dans la culture générale. Mais que de frustrations encore pour l’architecte ou le paysagiste constatant que, sur cette scène du « projet urbain », les acteurs jouent tous à la mesure de leur ambition d’y dominer, de leur puissance et de leur malice, lorsqu’il croyait sincèrement que, comme lui, ils allaient aimer sa pièce, adhérer à son scénario, se mobiliser pour lui, comme au temps des princes.
Vidéo : Des «idées»de l’homme de l’art comme «bien consommable»(et jetable?)
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