Paysages sous surveillance :Contrôle des accès
Le plan du rez-de-chaussée tient désormais le rôle du plan-masse : le degré de perméabilité entre intérieur et extérieur prend le pas sur l’organisation séparée de la surface du sol et des volumes bâtis. Ainsi le hall d’entrée, qui fut souvent conçu en continuité avec l’espace extérieur et non comme un seuil entre public et privé, devient aujourd’hui l’enjeu d’une réflexion particulièrement contraignante. Alors que certaines cages d’escalier sont reliées entre elles par une longue galerie, redoublant à l’intérieur le continuum des espaces verts, l’organisation de la sécurité tend aujourd’hui à les isoler les unes des autres. Cette séparation des circulations verticales est d’autant plus hermétique qu’elle se prolonge généralement par la fermeture des halls et l’instauration de dispositifs électroniques de contrôle des accès.
L’ajout de volumes d’entrée en débord complète ainsi l’image des façades, déjà transformée depuis quelques années par les contraintes de l’isolation thermique impliquant, elles aussi, une étanchéité absolue entre intérieur et extérieur. Destinés à la fois au repère et au contrôle du passage entre les bâtiments et leurs sites, ces monolithes étanches, ni vraiment intérieurs ni vraiment extérieurs, suffisent aujourd’hui à démanteler tout l’aménagement moderne du territoire : leur éclairage et leur transparence ponctuent l’étendue camouflée des espaces verts : leurs redans ancrent les barres et les tours dans un sol auquel elles pensaient échapper.
D’autant que cette poussée intérieure des halls hors du prisme pur des barres et des tours a également pour fonction de rejoindre une autre poussée : celle du réseau des routes qui tend de plus en plus à pénétrer les espaces verts pour atteindre le pied des immeubles. Cet enfoncement des véhicules au cœur des opérations, jusqu’à permettre leur stationnement sous les fenêtres des habitants, renforce le schéma sécuritaire des forces de l’ordre qui prône, à l’inverse des architectes modernes, la coexistence de ces deux mondes étrangers : l’automobile et le piéton. Les rondes de surveillance se faisant désormais depuis un véhicule, il devient en effet nécessaire de rétablir un maximum de croisements de manière à permettre le déploiement des policiers jusqu’au cœur des grands ensembles.
La propagation d’un tel processus de quadrillage du territoire révèle un comportement de défense qui s’oppose terme à terme à celui qu’avaient mis en place les concepteurs d’origine. Car l’ennemi a changé de bord : autant le terme de sécurité désignait, dans le vocabulaire des architectes modernes, le danger que représentaient les automobiles, autant le trajet libre et sans obstacle du piéton à qui tout le terrain est rendu accessible constitue l’antithèse de la logique sécuritaire, pour qui la voiture représente finalement moins de danger que le piéton lui-même.