Esthétique de l'environnement : Le sentiment de la nature
Le sentiment de la nature. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le sentiment de la nature, mis en avant par Rousseau, apparaît en réaction a l’esprit logicomathématique des XVII e et XVIII e siècles et à la théorie de d’Holbach d’une nature comprise comme simple mécanisme. C’est une révolution des sens, de la vue en particulier . Le savoir unit les domaines esthétique, gnoséologique et moral, pour se traduire en une contemplation intérieure. Le regard s’est acquis tant de mérites qu il a remplacé l’attitude spéculative au fondement de la connaissance. Le savoir voir pénètre la .structure et la beauté de la nature loin des idées générales et abstraites des philosophes. Rousseau cléclare dans les Institutions chymiques117451 : “J’entends tous les hommes vanter la magnificence du spectacle de la nature, mais j’en trouve fort peu qui la sachent voir . » Voilà justement l’importance de la vue, du regard comme instrument essentiel d’une pensée et d’une philosophie de la nature. Même pour Goethe, l’amour du paysage passe par le plaisir d’une vision pénétrante : la contemplation. A travers elle, les lieux vivent dans nos représentations. Dans sa Théorie des couleurs, on lit :
Le simple fait de regarder une chose ne nous fait pas progresser. Tout regard se change en considération, toute considération en un reflet, en une conjonction. On peut dire que nous théorisons déjà en chaque regard attentif tourné vers le monde [Goethe, 18081.
Mais le regard a une tradition ancienne. Pour les Grecs, la nature domine comme un immense être vivant et intelligent suivant une explication vitaliste et animiste de la vie. Ils croyaient au miracle, à la magie. Ils vivaient dans un monde symbolique. Homère pensait que le rêve, messager de la volonté des dieux, était réellement présent dans la chambre d’Agamemnon. Jusqu’au Roman de la Rose, la nature continue d’être magique, à l’exception d’Aristote chez qui nous pouvons retrouver la première perception désintéressée de la nature. Les Grecs, les premiers, nous ont sensibilisés à ce jeu de l’admiration pour le monde qui nous entoure. C’était un regard du haut vers le bas et non pas dans le sens contraire qui caractérise l’ascèse chrétienne. Il allait dans un sens horizontal capable d’embrasser aussi bien le particulier que l’infini. Que l’on pense au théâtre, au tbeatron, au verbe tbeastai, “regarder, contempler”, comme l’a expliqué E. Turri 11998]. D’après ces considérations, nous pouvons déplacer notre attention des actes humains aux faits naturels et dire que ce qui se passe dans la tragédie, on le voit aussi et parallèlement se produire à nouveau dans la contemplation de la nature. Notons une même origine psychologique : le rite de la catharsis. L’homme vit hors du danger qui a été heureusement écarté ; il n’en est pas victime, mais il le regarde, loin des malheurs humains, comme des désastres naturels : éruptions, inondations, tempêtes, etc. Il se libère des événements et s’élève au-dessus d’eux. Depuis les origines du tragique et du sublime, et tout au long de leur évolution, le principe de la distance s’est imposé dans son acception esthétique. D’Aristote à Lucrèce jusqu’à Hume, du Pseudo-Longin à Kant, l’homme assiste, spectateur ému, au drame de la vie et de la nature.
Interprète des Anciens, Leopardi transpose sa lecture de Platon et du Pseudo-Longin dans sa méditation sur l’infini. La fuite par le regard de l’argutie et de la rhétorique du visible se traduit dans une sortie du monde pour en expérimenter l’essence.
En divers passages du Zibaldone, nous voyons le poète faire référence à la beauté de la nature en accord avec la philosophie manifestant son intérêt pour les similitudes. Dans la relation entre l’homme et la nature, Leopardi perçoit l’existence d’un sentiment premier du divin. C’est le sacré qui, en enveloppant la beauté naturelle, nous procure sentiments, passions, stupeur, émotions capables de produire une peur sublime et de nous transporter hors de nous dans un état extatique.