Esthétique de l'environnement : Nature
Une rhétorique de l’ineffable. A la fin de Combray (Du côté de chez Swann. A la recherche du temps perdu), on se demande comment dire et décrire la beauté du monde. La réponse est la suivante : dépasser “le désaccord entre nos impressions et leur expression ». Proust, comme le remarque J. Starobinski [1999, p. 1571. aborde ici le thème de l’émotion qui doit acquérir aussi bien les moyens verbaux que les moyens visuels adaptés pour interpréter la beauté, en suivant le fil d’une rhétorique de l’ineffable. C’est une expérience de la limite qui présente un vaste ensemble de motifs, de correspondances, d’itinéraires spirituels. Le paysage est vraiment saisi dans le moment où l’on parvient toujours plus loin en soi-même, par-delà la représentation objective, jusqu’à découvrir l’ordre du visible dans une totale dissolution du moi.
C’est précisément sur ces passages de l’image de la nature à sa représentation que s’est arrêté Gérard Genette en affrontant la question de la relation esthétique [1994-1997]. Il a analysé le continuum existant, qui varie par sauts et diffractions, entre les formes de la nature et les formes de l’art, et a remarqué comment la notion d’objet purement naturel, ayant un statut hybride, fruit d’une collaboration entre l’homme et la nature, est le premier stade d’un processus auquel l’art ou l’homme peuvent toujours retourner. Il existe un besoin irrépressible de passer d’un plan à l’autre, de celui des impressions à celui des expressions et vice-versa.
Il est clair, comme beaucoup l’ont relevé, que la beauté naturelle, étant toujours une apparence, est déjà en soi image.; La représenter, comme l’a déclaré Adorno, trahit un parcours de type tautologique : le beau naturel, tout en étant objectivé comme ce qui se montre (la référence renvoie pour le moins aux théories du XVIIIe siècle), est en même temps éliminé. Si l’on suit sa pensée, on trouve au fondement de la perception. de Yaisthesis, un développement de l’objet qui va de pair avec une projection du sujet. Le véritable artiste n’imite pas la forme des choses mais il interprète leur essence. Déjà Platon remarquait que l’appréhension créatrice d’un objet perçu est une manière d’approcher esthétiquement ce qui apparaît. S’approcher de l’objet paysage signifie donc, par ce moyen, saisir à travers les sens ce que la réalité nous dévoile ou nous révèle au moyen des images de la chose même. Ou encore, d’un point de vue phénoménologique, nous pouvons soutenir que toute perception est en même temps une projection sur la chose perçue. Toute perception est donc intentionnelle et fondatrice. Percevoir est une manière de se projeter sur une certaine réalité, la synthétiser ou l’introjecter, et la représenter à travers l’espace et le temps.1 Dans l’expérience esthétique, le paysage est devenu un art grâce à l’extension et à l’intensification de l’acte intentionnel .