Les espaces publics au centre du nouvel urbanisme
À Brest, le temps des bilans a d’abord été celui d’une reconquête par petites touches ; de restructurations en réhabilitations, lentement des images neuves ont traversé les faubourgs, tandis que les opérations d’embellissement dans les centres-bourgs dela Communautéurbaine de Brest (CUB) faisaient florès. Cette politique discrète avait ses vertus. Elle risquait néanmoins de passer pour de la négligence, dès lors qu’elle omettait les « hauts lieux » d’une ville qui, déjà, s’en estimait trop parcimonieusement pourvue.
Une réflexion rétrospective sur les conclusions du colloque consacré à Brest en 1983 aux spécificités des villes reconstruites a conduit l’Agence d’urbanisme dela CUBà explorer prudemment la notion de « déficit symbolique ». Plusieurs facteurs plaidaient en faveur de cette considération, notamment une investigation de 1978 montrant que les Brestois trouvaient difficilement dans leur ville les éléments nécessaires pour construire une image ; ils effaçaient donc le cadre proprement urbain au profit de son site. En outre, l’apparente contradiction entre le défaitisme ambiant et le refus farouche d’un bouleversement de la donne urbaine provient très certainement de la particularité des villes reconstruites : elles sont rétives aux façons habituelles que l’on a d’appréhender son cadre bâti, peut-être du fait de leur vieillissement qui ne peut s’admettre ou se comprendre. On est alors tenté de se réfugier dans une ville réinventée, qui découlerait des critiques forgées en d’autres lieux pour d’autres réalités.
Plus récemment, il a paru nécessaire de se manifester à nouveau et fortement au cœur de la ville, de façon « ouverte ». A l’exemple de Barcelone, le recours à des artistes plasticiens a prévalu. À la frange ouest du territoire urbain, la création d’un parc, proposition du sculpteur allemand Nils Udo et du paysagiste Louis Maunoury, a été décidée en lieu et place d’une butte qui avait longtemps servi aux artilleurs dela Marine. L’aménagement du parc témoigne dans son entier d’une sculpture vivante, mobile ; le jeu du vent, comme lorsqu’il balaie la rade ou naguère gonflait les voiles, est ici visualisé par diverses expressions du végétal — des peupliers pour l’essentiel. Ce fait marquant dans la conception des espaces publics brestois a impliqué
la multiplication des commandes à la faveur de ces nouveaux intervenants dans l’urbanisme. Marta Pan et Marcel Van Thienen se virent ainsi offrir les axes et les seuils les plus décisifs de la ville. Plus qu’un passage de témoin de l’urbaniste défait à un autre partenaire, il s’est agi d’un saut qualitatif, d’une progression sur l’échelle de l’abstraction visant à « défonctionnaliser » radicalement les réceptacles dédiés à l’espace public, ce ciment de la cité, refuge prétendu de son âme.
C’est peu dire qu’une telle stratégie parut absconse à une population davantage préoccupée par les dépenses engagées que par le bénéfice moral à en escompter. En 1992, une étude sur la perception de la ville menée à l’initiative de la municipalité dénotait le détournement des intentions premières. La conception de Van Thienen se résumait à des « bouliers » tandis que les fontaines noires de Pan étaient assimilées à des « pierres tombales ». Le discours des habitants sur l’embellissement et l’enrichissement par ces œuvres d’art ne s’explique pas seulement par une incompréhension plastique mais semble révéler que la ville reconstruite ne peut être érigée en patrimoine, d’où le recours incessant à un passé réinventé ou un certain penchant à jalouser les villes qui ont su en sauvegarder des fragments.
Remise une fois de plus sur le métier, cette fois par Bernard Huet, la place dela Libertérestitue, aujourd’hui, une légitimité à l’ensemble du parti Mathon. Cette intervention, assumant enfin l’héritage, tente tout aussi paradoxalement de mettre un terme, certes tardif, à la reconstruction de la ville. À l’image du boulevard haussmannien, cet investissement montre que l’espace public de la reconstruction possède une capacité d’évolution et d’adaptation remarquable ; il peut être réactualisé, recyclé, s’affranchir des raisons historiques qui l’ont fait naître et voir de nouveaux usages s’y développer. Mais requalifier les espaces publics ou les équipements de centralité sans traiter de la déliquescence du bâti pouvait être perçu comme une demi- mesure. Cette idée est confirmée par une Opération programmée d’amélioration de l’habitat (OPAH) sur le centre reconstruit. Loin de n’être que le nécessaire jeu de coloriste qui rend la ville plus pimpante, elle a agi comme le révélateur d’une architecture dont la grisaille avait fait oublier les qualités.
Dans cette aspiration à la pérennité, les dernières aventures de l’espace public brestois complètent le catalogue thérapeutique. La ville déploie depuis quelques années des efforts spectaculaires pour renouer avec un destin et une âme maritimes
quelque peu oblitérés. Dans le registre événementiel, à la mi- juillet 1996, Brest a convié les vieux gréements du monde entier à revenir dans sa rade hautement militarisée. Lors de « Brest 92 », cette fête maritime avait vu l’ouverture des rives de Penfeld, espace dévolu àla Marinenationale. A l’autre extrémité de l’axe principal, ce « centre interdit » connut en quatre jours une affluence que les seules installations dans la ria ne suffisent pas à expliquer; comme si la ville et ses habitants retrouvaient un sens depuis longtemps oublié.
Vidéo : Les espaces publics au centre du nouvel urbanisme
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