Paysages sous surveillance : d'une urgence l'autre
Au milieu des années soixante-dix, au moment même où s’achevait sa construction, un grand ensemble d’Orly entamait sa réhabilitation. Apparue comme le laboratoire d’essai du nouvel habitat social, cette cité HLM de 4 722 logements faisait aussitôt l’objet d’une autre forme d’expérimentation, celle de sa rénovation. Motivée par des problèmes d’insécurité, celle-ci inaugurait une nouvelle démarche, intégrant la mission de surveillance au service offert par le bailleur au locataire. Le contrôle social cessait, dès lors, de concerner seulement les composantes judiciaires et policières de l’appareil étatique pour devenir l’objet de tous les acteurs intervenant dans la transformation des grands ensembles.
Moins de dix ans plus tard, le maire d’Orly déclarait, lors d’une réunion d’installation du Conseil communal de prévention de la délinquance : « Nous nous occupons beaucoup de problèmes de sécurité et de délinquance… Je peux même vous affirmer que nous n’abordons aucun problème, dans notre ville, sans penser à cette question. » Le propos du responsable de cette ville, dont 70 % de la population habite dans un grand ensemble, traduisait une nouvelle réalité institutionnelle à l’intérieur de la commune. Mais surtout, elle introduisait à un phénomène en train d’atteindre l’ensemble du territoire reconstruit après-guerre, le repli autour d’entités opérationnelles après l’épopée de la conquête moderne.
De fait, la plupart des projets de rénovation sont aujourd’hui soumis aux impératifs de la sécurité, de la même façon que les transformations actuelles de l’aéroport du même Orly qui, exprimant la modernité lors de sa construction dans les années soixante, ne dépendent plus aujourd’hui que des contraintes de défense contre le terrorisme. La liberté constructive permise par le béton et l’industrialisation sert ainsi de cadre à une nouvelle forme d’expérimentation, celle du contrôle et de la surveillance. Il en est de même pour bon nombre de réhabilitations de grands ensembles, qui préfèrent mettre en scène l’efficacité des dispositifs de sécurité que d’exhiber les prouesses techniques, parfois réelles, qu’elles mettent en œuvre.
Ce déplacement rend visible une autre forme d’urgence, non plus celle de reconstruire ou de reloger mais celle de sécuriser. Ainsi, de même que le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme avait mis en place une procédure permettant d’accélérer les mécanismes de fabrication des logements, les pouvoirs politiques insufflent aujourd’hui de la vitesse au traitement de l’insécurité, soutenant un certain nombre « d’innovations » derrière lesquelles ils voient le signe de leur modernité.
Le logement d’urgence a ainsi fait place à Y état d’urgence. L’architecture, qui montrait après-guerre sa capacité à donner une forme à la construction en grand nombre, est aujourd’hui sollicitée pour son aptitude à sécuriser. Or cette disposition ne met pas seulement en jeu la performance des serrures, des verrous ou des limites infranchissables mais interfère sur toute l’organisation du domaine bâti. Deux nouveaux types de projets sont de fait programmés : le positionnement des interventions destinées à garantir la protection des habitants et l’organisation de l’espace de manière à favoriser la surveillance et les descentes du personnel d’ordre. A l’éclairage nocturne, aux dispositifs sélectifs d’accès et aux nouveaux sas d’entrée répondent une modification des espaces verts, une séparation du bâti en petites unités et une instauration de passages obligés.
Vidéo : Paysages sous surveillance : d’une urgence l’autre
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