nouveaux matériaux , nouveaux horizons : De nouvelles couleurs
Mais il est temps de revenir enfin à la vraie peinture; car l’innovation dans la couleur n’a pas cessé durant tout le XXe siècle. Il y a eu toutes sortes de développements. Au milieu du xixesiècle, George Field était capable de tester virtuellement tous les matériaux qui fournissaient de la couleur à la palette du peintre. Aujourd’hui, la liste des colorants fabriqués industriellement couvre les 9 000 pages, en neuf volumes, du Colour Index International, la bible des teinturiers et des coloristes. Ces couleurs synthétiques brillantes n’ont plus de noms poétiques mais sont cataloguées, sans compromis, par teinte, par usage et par un nombre précisant leur composition chimique : Cl Vat Red 13 Cl No. 70320, Cl Food Yellow 4 Cl No. 19140. Les ambiguïtés des terminologies plus anciennes sont bannies et un peu de leur magie est indiscutablement partie avec elles. Environ 600 de ces matériaux sont-des pigments, cependant que plus de 9 000 sont des teintures qui attestent du pouvoir de la chimie organique à façonner la couleur à des fins précises.
Cependant, un sociologue pourrait tirer quelques conclusions intéressantes du fait que le pigment de nombreux produits, celui qui est employé en quantité la plus importante, est de loin le blanc. Un coup d’œil à l’intérieur de n’importe quel immeuble, commercial ou pas, nous rappelle que cette « non-couleur » est la plus largement choisie pour recouvrir notre environnement synthétique. (Bien sûr, le blanc yT est aussi très utilisé pour modérer la saturation des autres pigments dans une tonalité considérée, de nos jours, comme plus douce à l’œil], David Batchelor s’est beaucoup amusé de la mode croissante du goût minimaliste pour les intérieurs blancs : Cependant cette sorte de blanc, le principal pigment actuel, n’existait pas avant le XXe siècle.
Le blanc de plomb était un des principaux produits préindustriels, et malgré l’émergence du blanc de zinc comme couleur pour artistes au xixesiècle, le pigment de plomb resta prééminent dans le contexte industriel parce qu’il était beaucoup moins cher, et que dans l’huile il reste plus opaque et sèche plus vite. En 1900, le blanc de plomb dominait encore virtuellement tout le marché des pigments blancs. Mais, entre 1916 et 1918, les compagnies chimiques de Norvège et des États-Unis découvrirent comment fabriquer et purifier un oxyde de titane, blanc et opaque, identifié en 1796 par le chimiste allemand Martin Klaproth.
Le blanc de titane, ou dioxyde de titane, a deux fois le pouvoir de couverture du blanc de plomb et il est, en outre, extrêmement stable. Une fois les difficultés de fabrication résolues, le blanc de titane devint rapidement le pigment blanc dominant: en 1945, il représentait 80 pour cent du marché. Avec pour résultat la chute des empoisonnements fatals au plomb à l’occasion de la préparation du blanc: il y avait eu vingt-huit cas dans le Royaume-Uni en 1910, il n’y en eut aucun en 1950. Aujourd’hui, la plupart des peintures blanches de n’importe quelle sorte sont du « blanc de titane ».
Mais la couleur du xxe siècle a gagné en variété ce qu’elle a perdu en largeur d’application. Dans les années 1950, une classe de pigments complètement nouvelle fut introduite: les composés organiques richement colorés et hautement stables appelés quinacridones. Ce sont des « pigments vraiment organiques »: des solides en poudre rassemblant des minéraux broyés mais composés uniquement de molécules organiques.
Les premiers pigments vraiment organiques, à base de sels de teintures azoïques, remontent en fait aux années 1880. Parce que ces composés organiques colorés ne devaient pas être attachés à des particules non organiques pour faire des pigments de laque, il devint possible d’appliquer à la fabrication de pigments la « synthèse des couleurs » de plus en plus rationnelle qui s’est développée à partir de l’industrie de la teinture synthétique. Le premier pigment azoïque, le jaune de tartrazine, fut breveté en 1884.
Découverts en 1896, les quinacridones mirent plus de temps à émerger comme pigments. En 1935, un chimiste allemand nommé H. Liebermann (à ne pas confondre avec le Liebermann de la synthèse de l’alizarine, qui mourut en 1914] fit la synthèse de la première quinacridone pouvant être utilisée comme pigment. Cependant, ce n’est que vingt ans plus tard que des chimistes de DuPont aux États-Unis commencèrent à chercher des méthodes pour les fabriquer sur une base commerciale. Les pigments de quinacridone furent commercialisés à partir de 1958, offrant des couleurs du rouge-orange au violet. ils furent rapidement adoptés par l’expressionnisme abstrait new-yorkais qui fit bon accueil à leurs teintes violentes. De nombreuses couleurs pour artistes sont maintenant colorées avec de la quinacridone.
N’étaient ces pigments organiques, on pourrait raisonnablement s’inquiéter pour l’avenir du rouge. Le rouge de cadmium est devenu le riche écarlate canonique de l’âge moderne, une couleur sans égal pour n’importe quel pigment de laque à cause de son pouvoir de couverture et se stabilité à la lumière. Le cadmium est un métal lourd légèrement toxique, et les couleurs de cadmium ne présentent pas un grand danger pour le peintre. Malgré tout, des inquiétudes sur les effets des métaux lourds pour la santé et l’environnement en général, renforcées par les problèmes de pollution par le plomb et le mercure, ont conduit à des restrictions plus fortes sur les produits contenant ces éléments. Il a été question d’interdire totalement le cadmium dans les peintures. Il est peu probable que cela arrive; mais, dans ce cas, les quinacridones seront les substituts les plus adaptés. À vrai dire, des peintures avec une étiquette de rouge ou d’orange de cadmium sont maintenant souvent pigmentées avec ces molécules organiques; le nom, comme d’autres à travers les siècles, est passé d’un indicateur de composition à une teinte.
Nous pouvons être sûrs que de nouvelles alternatives continueront à apparaître. En 1983, le premier brevet fut déposé pour une autre classe de pigments organiques, appelés diketopyrrolo-pyrroles ou DPPs. La molécule organique absorbant la lumière dont les DPPs sont dérivés fut découverte en 1974. Initialement, c’est un produit de réaction tout à fait mineur, il fut développé dans un composé commercialement viable par le chimiste Abdul Iqbal chez Ciba-Geigy à Bâle. Les pigments DPPs, dont la gamme se situe entre le rouge et l’orange, sont toujours précieux et Ciba- Geigy les fabrique d’abord pour l’industrie automobile. Il n’y a aucun doute que le domaine industriel plus étendu apportera éventuellement, selon le vieux schéma, les couleurs au marché des artistes. Des peintres obtiendront leurs couleurs pour les mêmes raisons que toujours: parce que la chimie a de nombreux débouchés par ailleurs.
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