Lieux publics et espace public
A la différence de la théorie politique, les approches sociologique et anthropologique tiennent compte de la matérialité de ces espaces, qui sont envisagés à la fois comme des espaces physiques et sociaux. Lieux de « visibilité » (Richard Sennett9) ou encore « scène d’apparition » (Louis Quéré dans le sillage théorique d’Arendt), ces espaces^développent des modes de sociabilité particuliers qu’il faut questionner : espaces de socialisation, d’insertion et d’intégration, ou au contraire espaces de conflits où se joue une mise en scène du public, reformant perpétuellement ses frontières avec la sphère privée. Toute la question est de savoir dans quelle mesure les lieux urbains, ou les lieux communautaires de la vie publique, sont constitutifs de la sphère publique.
La démarche sociologique et historique de Sennett prolonge la perspective de l’étude de la formation d’un espace public articulé à la vie publique, à la suite des travaux d’Erving Goffman10. Il étudie les structures de la vie publique (mode d’expression sociale observable dans la rue, repérable à travers les mises en scène publiques qu’inventent les citadins pour pallier leur anonymat dans les métropoles) à Londres et à Paris dans les années 1750. Son hypothèse générale est celle de la disparition d’une géographie et d’une expression publiques spécifiques, qu’il observe à partir de deux périodes charnières : les années 1840 et les années 1890. Sa thèse tend à démontrer que la sphère publique s’est éteinte progressivement à partir du milieu du XIXe siècle, absorbée par la sphère de l’intimité, qui a contaminé la scène publique. À travers deux exemples (la Lever House et La Défense), il stigmatise l’architecture dite du « style international » et l’urbanisme sur dalle qui, depuis les années soixante, seraient révélateurs de la disparition de l’espace public traditionnel au profit de V la création « d’un espace.public dérivé du mouvement » 11. D’après lui, l’espace public est réduit à une fonction, celle de la mobilité liée aux transports ; la rue constitue alors un lieu de passage obligé entre les transports et le domicile ou le bureau, mais perd du même coup toute signification sociale.
Cette corrélation entre l’espace public d’un côté et la vie publique dans les espaces urbains de l’autre est au centre de la réflexion de Louis Quéré 12 ; elle nous intéresse en ce qu’elle éclaire la place de cette terminologie dans le discours urbain et architectural contemporain. Dans une étude menée en collaboration avec Daniel Brezger portant sur les espaces publics urbains13, les auteurs constatent que le « caractère “public” des lieux dits “publics” est une dimension que leurs usagers se rendent mutuellement sensibles en manifestant certains comportements, en adoptant certaines attitudes, en particulier en maintenant ces lieux sous les auspices d’une apropriété irréductible » 14. Mais ces pratiques sociales observées dans les lieux publics urbains sont-elles le résultat d’une représentation collective et symbolique du domaine public ? Auquel cas, il serait fondé de lier « la publicité des espaces urbains, et des lieux publics en général, au principe politique de la publicité ». Ou bien ces pratiques ne traduisent-elles que « l’apprentissage collectif historique » du mode de vie urbain ? Auquel cas, le principe de publicité politique ne pourrait être corrélé aux modes de vie en public.
Vidéo : Lieux publics et espace public
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