Esthétique de l'environnement : Espace et paysage
Le paysage n’est pas l’espace, il n’est pas l’espace vert organisé pour les villes de ces dernières décennies, il n’est pas la délimitation, l’occupation d’un domaine restreint entre des limites assignables. Il n’est pas l’espace géographique, ni le lieu neutre où peuvent être rassemblés objets, corps, structures. Il n’est ni la recherche d’une sémiotique des espaces ou de la proxémique, ni le domaine d’une définition géométrique ou mathématique. Il n’est pas une pure extension ou amplitude. Il n’est pas non plus l’expression d’une logique causale. Il n’est pas un lieu idéal capable de contenir notre patrimoine visuel et toutes les étendues finies. Il n’est ni étroit ni démesuré, ni circulaire ni contracté, ni pointu ni rond. Il n’est pas non plus l’espace comme expression d’une conscience qui rêve selon une métaphysique de l’imagination, comme Bachelard en a fait l’hypothèse. En même temps il n’est pas “l’espace qui entre-temps provoque, dans une mesure croissante, toujours plus opiniâtrement l’homme moderne”, tel que le comprenait Heidegger ; il n’est pas non plus l’espace qui, toujours selon Heidegger, s’empare de l’homme jusqu’à la peur et l’angoisse selon le mot de Goethe : l’espace appartenant au domaine de ces phénomènes originaires derrière lesquels semble s’ouvrir le néant .
Enfin il n’est pas l’espace représenté dans la pensée des philosophes, de Pythagore à Kant.
Espace et paysage, comme le dit E. Turri [1974], se configurent différemment aussi bien du point de vue des disciplines dont ils relèvent que d’un point de vue opératoire, même si l’un ne peut faire abstraction de l’autre. Le paysage est partiel et subjectif, il n’est pas fonctionnel pour l’organisation de l’espace. Le paysage ne nécessite pas vraiment un projet, contrairement à l’espace qui est intervention plus directe, simple, utilitaire : « Le paysage se laisse vivre, l’espace se laisse projeter. » Turri, toujours, précise qu’au XVIe siècle le concept et la perception du paysage au sens moderne n’existaient pas (tout au plus la contemplation désintéressée pour les purs plaisirs de l’esprit). Ce qui dominait en revanche, c’était le “pays”, quelque chose de comparable à ce qu’aujourd’hui nous appellerions territoire ou environnement, n’appartenant pas véritablement à la sphère esthétique mais à celle plus empirique de l’espace anthropique, expression de ce que l’on nomme la culture matérielle- C’est seulement alors que l’espace commence à acquérir une connotation sémantique, perceptive et comportementale liée à la transformation de la réalité naturelle et géographique qui conduira au paysage au sens moderne.