Arts de la table : Fleurs bien-aimées
En semis naïfs ou rassemblées en bouquets sophistiqués, naturalistes ou stylisées, les fleurs sont les championnes toutes catégories du décor sur céramique. Les fleurs stylisées existent déjà dans l’Egypte ancienne, dans l’Islam médiéval et sur les poteries chinoises des dynasties reculées. En Europe, c’est à la suite des travaux de Linné, le botaniste suédois, que se développent, au XVIII siècle, les mouvements naturalistes et, dans leur sillage, le goût pour les décors floraux.
Les fleurs allemandes de Meissen
La première manufacture européenne à représenter des fleurs est Meissen. C’est déjà là, en 1713, dans ce village de Saxe, que le chimiste Frédéric Boettger découvre le secret de la porcelaine chinoise : une pâte à base de kaolin. La formule tant recherchée est jalousement tenue secrète à Meissen pendant plus de vingt ans. Dans les années 1720-1730, Johan Gregor Herold crée un décor floral influencé par l’asymétrie et les couleurs du céramiste japonais Kakiemon et certains éléments de la famille verte chinoise. Ce modèle est baptisé «fleurs de l’Inde» (Indianische Blumen). Il est aussitôt repris par la plupart des manufactures européennes. Dix ans plus tard, ce sont les « fleurs allemandes » CDeutsche Blumen) qui voient le jour, plus naturalistes, parfois entourées d’insectes. Ces modèles sont aussitôt copiés avec bonheur par Vincennes-Sèvres.
Les fleurs fines de Strasbourg
L’invention du «petit feu» est attribuée à Paul-Antoine Hannong dont le père, Charles-François, a créé en 1709 la manufacture de Strasbourg. Avec cette nouvelle technique, la faïencerie Hannong se fait une spécialité de ce qu’on appelle les « fleurs fines », notamment des bouquets composés de « roses en tourbillons », c’est-à-dire bien rondes et avec vue sur l’intérieur de la fleur et ses multiples pétales, et dans des tons subtils opposant le carmin des pétales au vert sombre des tiges épaisses, ou encore de bouquets composés de tulipes effilées d’où s’échappent bleuets et renoncules. Ces décors floraux sont repris un peu partout en France, notamment par la manufacture de Niderviller, voisine de Strasbourg.
Les bouquets de Marseille
La région de Marseille est un autre grand centre faïencier réputé pour ses décors de fleurs. Elle doit sa célébrité à plusieurs manufactures comme celle fondée par les frères Clérissy à Saint-Jean-du-Désert en 1679, celle de Joseph Fauchier et celle dite de la Veuve Perrin. Vers 1750 apparaissent ces décors floraux d’une grande finesse, cuits, eux aussi, au petit feu sur fond blanc ou jaune. Ces «bouquets de Marseille» représentent souvent des roses et des tulipes entremêlées de fleurs des champs, traitées à la manière naturaliste. Ces décors de fleurs inspirent tout le midi de la France, notamment Moustiers.
Chardons et fleurs de pomme de terre
D’autres faïenceries moins célèbres créent des décors de fleurs originaux. C’est le cas de Meillonas, près de Bourg-la-Reine. Cette manufacture fondée en 1759 est aussi à l’aise dans les décors « au grand feu » avec la «rose manganèse», inventée en 1759, qui fera sa célébrité, ainsi, d’ailleurs, que celle de l’atelier du faubourg Très-Cloîtres à Grenoble, que dans les décors « au petit feu » où dominent les fleurs au naturel réalisées d’après poncif.
Samadet, petit village des Landes, se fait une spécialité des décors fleuris finement exécutés, tels celui « à la fleur de chardon » en camaïeu bleu ou celui « à la fleur de pomme de terre ». Les « roses de Samadet » sont originales : peu réalistes, presque stylisées, ce sont des roses toutes rondes avec des pétales découpés, dentelés, et des tiges droites ou couvertes d’épines.
Fleurs sur porcelaine tendre
Parallèlement à la faïence fine, la porcelaine tendre, sans kaolin, naît à Rouen en 1673 grâce à Edmé Poterat. Mais ce sont les manufactures de Saint-Cloud, de Chantilly, de Mennecy, de Sceaux et, bien sûr, de Vincennes puis de Sèvres, qui lui donnent son véritable envol au début du XVIII siècle.
Le décor floral est une spécialité de Chantilly. Après des représentations de « fleurs de fraisier» dans le style Kakiemon, ce sont des fleurs plus naturelles qui sont représentées, notamment des bouquets de roses, de pivoines, de primevères. À la fin du XVIII siècle, Chantilly se fait une spécialité de rameaux fleuris stylisés en camaïeu bleu avec, notamment, les modèles «à la brindille» (une brindille de bruyère) et «à l’œillet» qui sont repris par Orléans, Arras, Sèvres, les porcelaines de Paris, de l’est et du midi, et inspirent aussi les décorateurs de Creil et Montereau. Sceaux, créée en 1735, invente en 1750 un bouquet stylisé comportant deux fleurs accolées l’une à l’autre entre les tiges desquelles surgit une branche chargée de fleurettes rondes. Parfois, la fleur est seule, pourpre avec des feuilles vert cru. Quant à Mennecy, créée en 1737, elle se fait une spécialité de bouquets de roses, de pivoines et de tulipes, en camaïeu rose.
Les roses et les barbeaux de Sèvres
Créée en 1738, la manufacture de Vincennes devient manufacture royale en 1752 sous l’égide de Louis XV et de la marquise de Pompadour. Elle commence par imiter la porcelaine de Saxe, notamment dans ses «fleurs allemandes». En 1756, Vincennes déménage à Sèvres où, grâce aux privilèges royaux, elle va dominer la porcelaine de son temps. La manufacture est divisée en nombreux ateliers : celui des pâtes, des répareurs, des modeleurs, des sculpteurs des doreurs, des peintres… Au sein de l’atelier de peinture, certains ornemanistes sont spécialisés dans les fleurs.
Sèvres adopte à partir de 1760 le motif «roses et feuillages», petites roses naïves parsemées sur un fond blanc, décor qui sera longtemps exploité par Sèvres, copié par les fabriques parisiennes et qui inspirera Limoges.
En 1781, Marie-Antoinette, qui aime beaucoup les petits œillets, ou barbeaux, commande à la manufacture royale un service qui sera baptisé «Guirlandes de barbeaux». Peint par Choisy et doré par Chauveau, ce service est toujours fabriqué par l’ancienne manufacture royale. Les barbeaux deviennent aussitôt, au même titre que les roses, un thème prédominant dans le décor des assiettes en porcelaine.
On les retrouve dans la production de la plupart des manufactures parisiennes de porcelaine dure, en semis, en frise, en bouquets ou en médaillons… ainsi que chez les faïenciers de l’est de la France et de Savoie.
Les petites roses de Limoges
Les débuts de Limoges sont marqués par des décors de charmantes fleurs polychromes un peu naïves rassemblées en bouquets au centre de l’assiette et disposées en brindille sur l’aile ou bien, dans le style Louis XVI, par des barbeaux roses ou bleus accompagnés de rubans verts. Limoges emprunte à Sèvres ses petites roses, qui vont alors devenir les «roses de Limoges». La fleur est partout présente, qu’il s’agisse de tulipes, de branches fleuries « dans le goût de Tournai », de bouquets de jardin composés de roses rondes, de marguerites, de clochettes, de jacinthes sauvages, de fleurettes naïves et plates dans le style papier peint ou d’autres décors floraux imitant Chantilly, Sèvres, Mennecy. Ces décors sont parfois bordés de festons dits en « dent-de-loup ».
Fleurettes et liserons
À partir de 1850, des millions de fleurs s’épanouissent sur la céramique. Simples fleurettes sans prétention – roses, coquelicots – peintes sur la faïence de tous les jours ou élégantes et fines fleurs pour des ■ services de table de la bourgeoisie signées Sarreguemines, Creil, Gien, Longwy, Montereau avec, notamment, le service « Flora », un grand classique représentant des liserons bleus sur fond blanc. À Niderviller, qui s’est mise à la porcelaine, c’est une débauche de fleurs rouges, allant du rose tendre au rouge sombre, ou de bouquets de fleurs polychromes. Parfois apparaît une interprétation des Sèvres du siècle précédent frisant la mièvrerie avec une débauche de fleurs et de dorures sur des fonds turquoise ou rose soutenu.
Limoges et le japonisme
L’importateur américain de porcelaine tendre David Haviland, conquis par la qualité de la porcelaine de Limoges, décide en 1842 d’y fonder un atelier de décoration et, dix ans plus tard, une manufacture pour en exporter la production vers les États-Unis.
Par la suite, ses fils Charles et Théodore fondent un atelier de création à Auteuil, dirigé par le peintre Félix Bracquemond. C’est l’époque où les artistes français découvrent les estampes japonaises et l’œuvre de Hokusai. Le modèle «Fleurs et rubans », créé par Bracquemond en 1879, et celui des «Fleurs parisiennes», créé par Pallandre en 1883, sont très caractéristiques de cette tendance.
Toujours à Limoges, le peintre Georges de Feure et l’architecte Edward Colonna proposent une version Art nouveau du décor sur porcelaine en imaginant des services de table ayant pour base des motifs végétaux stylisés, souvent en relief et rehaussés de tons pastel sur fond pâle. On doit au peintre Léonce Ribière deux très jolis services : « Les Nymphéas » et « Caroline », sur le thème des violettes de Parme, offert en 1901 par Théodore Flaviland à l’impératrice Eugénie alors âgée de 75 ans.
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