Espace public contre espace communautaire
Aussi la transposition du concept d’espace public dans le champ de l’urbain pose-t-elle un double problème : celui de l’anachronisme d’une telle notion pour qualifier les espaces ouverts, libres, ou encore « verts » de la ville « fonctionnelle », telle qu’elle est décrite dans la Charte d’Athènes et dans les textes des CIAM jusqu’en 1952 ; et celui, plus général, de son emprunt terminologique qui tend à vider le concept de sa teneur politique et, du même coup, oblitère la qualité première de ces espaces urbains d’après-guerre. Or ceux-ci traduisent, nous semble-t-il, la résurgence de la thématique de la communauté, tant dans l’aire culturelle anglo-saxonne qu’italienne. Ce débat s’engage au détriment d’une réflexion urbaine sur les espaces publics dans l’immédiat après-guerre.
La réflexion autour de la communauté, amorcée depuis la fin du XIXe siècle, s’enracine dans les thèses antiurbaines (en particulier allemandes avec Riehl et Spengler), pour ensuite trouver des inflexions originales au sein de l’école de Chicago15. À l’heure de la refonte des identités nationales, la pensée communautaire contenait le fantasme politique « d’une fusion de la pluralité dans un corps organique, sous couvert de restitution d’une identité nationale, raciale, culturelle ou confessionnelle menacée »16. Enracinée dans les figures « naturelles du foyer » (la maison), de la domination domestique (le chef de famille, le maître) ou de ses extensions politiques (la royauté, l’impérialisme), la figure de la communauté trouva ses fondements théoriques dans la philosophie et la sociologie allemandes.La fortune critique de l’ouvrage Communauté et Société (1887) de Ferdinand Tônnies 17 (1855-1936), un des tout premiers manuels de sociologie, fut telle que s’est imposée une représentation simplifiée de sa théorie sociale. À la conception historique et évolutionniste qui définissait deux modes de groupements humains, la communauté (Gemeinschaft) et la société (<Gesellschaft), est venue se greffer une vision anti-urbaine absente de la thèse de Tônnies. La première forme de vie sociale, « organique et naturelle », distinguait la communauté de la société qui représentait, quant à elle, une nouvelle organisation sociale urbaine, qualifiée de « vie virtuelle et mécanique ». Elle figurait l’ultime forme de la société contemporaine, menacée par la décomposition des liens sociaux, liée à la régression de la cohésion sociale (propre à la Gemeinschaft) et à La montée en puissance des intérêts individuels. Ces deux formes d’organisation sociale furent conçues par Tônnies comme deux états successifs de la société, mues par un mouvement de balancier irréversible amorçant le passage d’un état vers un autre, en vertu d’une loi de l’évolution générale, réglée sur celle des espèces végétale et animale. L’emprunt (sélectif) de cette théorie sociale a formé l’argumentaire de modèles urbains qui visaient à restaurer les formes sociales originelles (la famille, le clan, la communauté villageoise) « dénaturées » par la grande ville. Cette interprétation constitua un détournement de la pensée de Tônnies qui qualifiait de posture « néoromantique » toute volonté de revenir à un état de société antérieure.
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