L’art et la vie un guide au pays de l'art
Art, Ce petit mot facile à dire et à écrire (le t à la fin, qui sonne dans artiste, nous rappelle l origine latine) désigne une réalité compliquée mais dont tout le monde a besoin. Lorsqu’on entre dans un musée ou qu’on ouvre un livre d’art, les choses sont claires : on entre dans le pays de la beauté par la couleur, le dessin, les formes. Mais souvent, il suffit de marcher dans une rue, de voir certains objets chez soi, et même de regarder un paysage pour que vienne à nous cette réalité artificielle, ce plaisir qu’on apprend à savourer : l’art. Un monde sans art serait froid, ennuyeux, sinistre : ce serait un monde sans émotions, sans amour, sans véritables êtres humains, sans femmes, sans hommes, sans enfants. Apprendre l’art, c’est ce qu’on essaie de faire dans ce livre. Cela paraît bizarre, puisque l’art est émotion, plaisir. 11 est pourtant très difficile de devenir un bon artiste et pas si facile de profiter de ce que 1 art nous propose, nous montre : en fait, si I on sait profiter d’un tableau, d’un dessin, d une sculpture, d’un bel édifice, si I 011 sait voir la beauté artistique, 011 est soi-même artiste.
La lecture, c est un monde fantastique de plaisir, de distraction. de détente. Seulement, voilà, pour y entrer, il faut apprendre à lire. Pareil pour la peinture, la sculpture, 1 architecture. Pareil pour la musique, qui est aussi de l’art, et dont nous 11e parlons pas ici. Ce livre est un guide au pays du regard – et de la beauté.
Montrer ce qu’il y a derrière les choses
En effet, la beauté, le beau sont étroitement liés à l’art – mais ce sont des idées différentes. L artiste cherche à faire sortir la beauté de la matière – un trait de crayon peut lui suffire, mais souvent ce sera la disposition des couleurs sur nue toile, une matière dure travaillée, des matériaux de construction assemblés, toujours avec une idée derrière la tête. La peinture, disait Léonard de Vinci (p. 233), c’est « une chose mentale », une chose d’esprit. Mais cette idée est remplie d’émotion, d’amour ou de colère. 11 s’agit de montrer ce qu’il v a derrière les choses, qu’on fasse semblant d’imiter leur apparence (un portrait, un paysage, une scène, des corps humains, des bêtes, des fleurs…) ou qu’on change cette apparence (certains portraits bizarres de Picasso; p. 254), ou même qu’on invente des apparences nouvelles (un décor géométrique, la façade d’un palais, un tableau abstrait). L’art bouleverse tout ce qu’il touche : une personne laide, visiblement désagréable ou effrayante, devient par cette opération magique un beau portrait. Un bœuf écorché, ce n’est ni réjouissant, ni très joli à regarder; des médecins vêtus de noir qui charcutent un cadavre pour apprendre l’anatomie à leurs étudiants, on n a guère envie de les voir travailler. Pourtant deux tableaux de Rembrandt (p. 261), Le Bœuf écorché et La Leçon d’anatomie, sont parmi les plus beaux tableaux du monde. C’est parce qu’ ils montrent autre chose et d’abord qu’ils montrent admirablement la peinture elle- même. L’art montre l’art.
Une chimie magique
Nous voilà bien avancés ! Mais il suffit de dire la chose autrement : qu’une véritable œuvre d’art – un vrai tableau, une vraie sculpture – expose autre chose que la réalité qui existait avant elle, et cela devient plus clair. Ce qui n’était pas beau est devenu beau, ce qui était beau (un paysage, la mer) le devient encore plus. Le plus bizarre, c’est que cette opération magique, cette alchimie a besoin de techniques précises, de travail, de savoir; d’une véritable chimie. L’art est le résultat d’opérations aussi contrôlées que la fabrication d’un avion supersonique. Et d’ailleurs, l’avion supersonique, assemblage de milliers d’éléments destinés à fonctionner ensemble, peut aussi être un objet d’art, comme une cathédrale. Ce qui nous montre que l’imitation ou l’évocation de la réalité, qui a occupé les dessinateurs, les peintres, les sculpteurs pendant des siècles, et aujourd’hui les photographes, n’est qu’une des formes possibles de l’art. En effet, un château, un bijou, une décoration géométrique sur un vase ne ressemblent à rien qu’à eux-mêmes.
Inventer un monde de beauté
L’art peut utiliser la ressemblance, il peut utiliser l’assemblage d’éléments (une architecture), pour arriver à ce qu’il est vraiment : l’invention d’un monde. Un monde de beauté dont la nature peut donner I exemple, mais connue par hasard. L art n’est pas chose naturelle, mais volonté de lumière, d’harmonie, d’émotion, c’est-à-dire volonté d’un échange. L’artiste s’adresse à nous tous. Cet échange est parfois direct : on regarde un tableau, une mosaïque, on contemple une statue, 011 tourne autour, 011 la touche, 011 visite un monument.
Le chemin qui va de l’œuvre d’art jusqu’à 110s yeux est parfois indirect. Nous sommes aidés par des techniques : on regarde des reproductions, des photos d’œuvres, on voit un film sur les châteaux de la Loire. Et même, aujourd’hui, des images de synthèse donnent I illusion qu’on est dans l’abbaye de Cluny (p. 58) comme lorsqu’elle était intacte.
L’art de voir
Car l’art, et le chemin qui nous 1 apporte, sont toujours menacés. La pire menace est qu’il ne soit pas reconnu et que des fabrications sans intérêt, des imitations ou des objets utilitaires sans aucune beauté (parce que leurs formes, leurs proportions, leurs couleurs sont pauvres et laides) envahissent notre environnement. Quand l’art n’est plus que dans les musées ou dans quelques lieux trop rares, nous avons envie de fuir les ouvrages de l’homme et de nous réfugier dans la nature.
Pourtant, même dans une grande ville, dans une banlieue, 1 art peut être là : une simple façade de maison aux proportions harmonieuses, la pente d’un toit, la matière d’un mur. la forme d’une place et, dans les maisons et les appartements, une image au mur, un meuble bien dessiné ou du bois poli par les années… tant de choses.
L’art, ce n’est pas seulement l’habileté, la pensée, la sensibilité des créateurs, peintres, sculpteurs, architectes, décorateurs, c’est aussi le choix, le plaisir de celles et de ceux qui savent voir. Car il y a un art de voir. 1111 art pour choisir, pour disposer le visible, tout ce qu’011 peut percevoir par le regard, autour de soi.