Diderot : Peinture, morale et politique
Du travail à la morale
La technique maîtrisée du comédien mesure son talent, talent qui est bien plus l’œuvre de son travail qu’un don inné. De même, la beauté d’un chef-d’œuvre doit beaucoup à l’industrie de l’homme qui en est à l’origine, à sa technique parfaitement acquise. Mais la beauté ne se résume pas à la seule maestria de l’artiste : par-delà la manière et la façon, l’œuvre est belle parce qu’elle exprime la morale, parce qu’elle concourt « à nous toucher, à nous instruire, à nous corriger et à nous inviter à la vertu ». L’art édifie ses amateurs, et l’artiste de talent, s’il sait stimuler la vertu de son spectateur, est aussi un éveilleur de consciences, un acteur politique.
Du réel à la Nation
Certains artistes contemporains de Diderot participent d’une tradition française du paysage : ils explorent la France à la recherche de sites caractéristiques qu’ils représentent et donnent ainsi à connaître. Diderot va se battre pour que cette tradition perdure et quelle aille encore plus loin en revêtant une importance nationale. On a souvent parlé d’une fascination pour l’antique chez Diderot, et c’est sans doute à travers la coïncidence entre l’art grec et la Cité que cette fascination trouve sa source :
« Pourquoi les Anciens eurent-ils de si grands peintres et de si grands sculpteurs ? C’est que les récompenses et les honneurs éveillèrent les talents, et que le peuple, accoutumé à regarder la nature et à comparer les productions des arts, fut un juge redoutable. Pourquoi de si grands musiciens ? C’est que la musique faisait partie de l’éducation générale Pourquoi de si grands poètes ? C’est qu’il y avait des combats de poésie, des couronnes pour les vainqueurs. Qu’on institue parmi nous les mêmes luttes, qu’il soit permis d’espérer les mêmes honneurs et les mêmes récompenses… »
Plus loin, l’artiste jouera un rôle politique :
«Désigner au poète tragique les vertus nationales à prêcher. Désigner au poète comique les ridicules nationaux à peindre. »
Le peintre est en charge de la moralisation de la nation, et cette moralisation puise sa matière même dans la nation : représenter avec réalisme les paysages de France, c’est donner au peuple à connaître et aimer sa patrie ; de même, les peintres qui trouvent l’inspiration dans F Histoire de France participent de ce mouvement qui consiste à donner à l’art français un contenu à la fois populaire et national. L’Histoire donne des leçons que le peintre est bien avisé de méditer, par là même il instruit le peuple et fait œuvre de mémoire. De même, l’idée de musée germe alors en Diderot dans la mesure où l’œuvre de l’artiste n’est utile qu’exposée au peuple et non confinée dans les boudoirs privés de la noblesse ou les collections privées d’une bourgeoisie égoïste qui cherche déjà à s’enrichir sur le dos des artistes.
La mission politique de l’art
Le réalisme volontiers moralisateur de l’esthétique de Diderot s’appuie sur une éthique du travail et une politique progressiste. Rien de plus étranger à la nature humaine que l’oisiveté, selon l’encyclopédiste ; l’artiste devra en rendre compte et présenter l’homme dans son labeur quotidien. Ainsi Diderot s’adresse-t-il à Vernet en ces termes :
«Prends tes crayons, et dépêche-toi d’enrichir ton portefeuille de ce groupe de femmes. L’une, penchée vers la surface, y trempe son linge ; l’autre accroupie, le tord ; une troisième, debout, en a rempli un panier quelle a posé sur sa tête. »
En des temps prérévolutionnaires, Diderot invite l’artiste à représenter la misère du peuple et à montrer « la partie la plus indigente, la plus malheureuse de l’espèce humaine ». C’est alors qu’il sert le mieux les intérêts des Lumières : en mettant fin aux représentations religieuses d’antan, en faisant voir la détresse des campagnes françaises, l’artiste s’engage dans le combat pour la liberté et l’émancipation des citoyens contre l’intolérance.
David, exécuteur testamentaire
La Révolution française aura ses artistes, elle sera même en partie portée par des artistes : quatre ans avant la prise de la Bastille et un an après le décès de Diderot, David, en qui le philosophe avait mis beaucoup d’espoirs dans son dernier Salon, proposera son Serment des trois Horaces qui préfigure le « Serment du jeu de Paume ». Par là, David réalise le programme de Diderot à destination des artistes : à partir d’une composition immédiatement accessible, David figure le serment fait à la Patrie, exalte la vertu et le don de soi, tout en manifestant la volonté d’instruire le peuple de la grandeur d’une nation (Rome), à partir d’un événement non fictif. Plus encore que d’être simplement instruit par lui, le peuple semble guidé par l’artiste vers un idéal révolutionnaire, et l’héroïsme des Horaces annonce celui des insurgés… Nul doute que Diderot aurait applaudi au spectacle d’une telle œuvre s’il avait pu visiter le « Salon de 1785 », lequel voyait s’imposer un néoclassicisme aux racines duquel l’esthétique de Diderot n’était guère étrangère.
Vidéo : Diderot : Peinture, morale et politique
Vidéo démonstrative pour tout savoir sur : Diderot : Peinture, morale et politique