Arts de la table : Les couverts individuels
Au XVIIe siècle, chacun possède son couvert, c’est-à-dire un couteau et une fourchette qu’il apporte avec lui pour le repas, nichés généralement dans un étui finement décoré. C’est sous le règne de Louis XIV qu’apparaissent les couverts tels que nous les connaissons aujourd’hui. Fournies par l’hôte, les trois pièces sont disposées d’un seul côté de l’assiette. Elles sont presque toutes en argent ou en vermeil, l’or étant réservé à la vaisselle royale.
La cuillère
La mode des fraises, grands cols si facilement souillés, entraîne l’allongement et l’aplatissement du manche vers la fin du XVI siècle. Au XVIIe siècle, la cuillère devient un objet précieux et raffiné, à manche sculpté. À la fin du siècle apparaissent des petites cuillères pour accompagner les nouveaux breuvages que sont le thé et le café, ainsi que les cuillères à entremets, à fraises et à œufs à la coque avec cuilleron en os, en ivoire ou en corne.
La fourchette
Utilisée en Italie dès le XVe siècle, la fourchette est introduite en France par Catherine de Médicis à la cour de son fils Henri III. Munie de deux dents, courte et rustique, elle a une tige épaisse et à angles vifs. Servant à plusieurs personnes à la fois, elle est jugée peu hygiénique et est très mal acceptée par l’aristocratie française. Elle est pourvue d’une troisième dent à partir de 1640 tandis que sa tige se termine en queue- d’aronde, préfigurant le modèle uni-plat; l’extrémité de la spatule est trilobée, c’est- à-dire découpée en trois lobes. Mais Louis XIV continue à manger avec ses doigts. Vers 1680, la fourchette se pare d’une quatrième dent et la spatule se distingue nettement de la tige. Mais elle a toujours aussi peu de succès. Même Louis XVI la délaisse pour manger à la pointe de son couteau. L’usage de la fourchette ne se généralise qu’à la fin du XVIIIe siècle.
Le couteau
Au Moyen Âge, le couteau à lame pointue sert à piquer les aliments pour les porter à la bouche. À la Renaissance, le couteau dépasse sa fonction purement utilitaire pour devenir symbole de prestige. Il est en or ou en argent, avec des manches en ivoire, en nacre, en pierres précieuses ou semi-précieuses supposées, par ailleurs, posséder un pouvoir protecteur contre les empoisonnements. Chacun, à cette époque, apporte son propre couteau, pliant en général, qu’il porte à la ceinture, enfermé dans un étui précieux. Le manche est en ivoire finement travaillé ou sculpté de scènes de chasse, de la mythologie ou d’animaux fantastiques, à moins qu’il ne soit en faïence décorée à la main. Les lames sont en or, en argent ou en fer, et joliment ciselées. Les principaux centres de fabrication au XVIIe siècle sont Paris, Strasbourg et, déjà, Langres.
Sous Louis XIV apparaissent des couteaux à manches d’argent, métal malléable qui permet les soudures invisibles et les décors délicats. Malheureusement, beaucoup vont disparaître, soumis aux ordonnances de fonte. Ils seront remplacés par des couteaux à manches de faïence, de porcelaine ou de cristal de roche. Les lames en fer poli sont en général pointues. Richelieu, lassé de voir le chancelier Séguier se curer les dents à la pointe de son couteau, fait passer un édit rendant obligatoires les pointes arrondies. Au XVIII siècle apparaissent des couteaux aux lames d’argent et manches fourrés, en ébène ou en nacre. La lame est alors prolongée par une pointe (la soie) insérée à l’intérieur du manche.
À partir du XIXe siècle, les couteaux individuels de table intègrent la ménagère où, avec la fourchette et la cuillère, ils forment le «couvert». Depuis la moitié du XIXe siècle, le forgeage, l’estampage, le laminage et le polissage des lames sont devenus mécaniques et le façonnage des manches a été automatisé.
Les modèles se multiplient
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’invention du métal argenté puis la mécanisation entraînent la fabrication de couverts individuels nouveaux en grande série et la multiplication des modèles.
Au lieu du couvert habituel de trois pièces, certains orfèvres choisissent de dépareiller les couteaux en retrouvant le goût du Moyen Âge et de la Renaissance pour les manches en ébène, en ivoire ou en corne. Le couvert à poisson apparaît à la fin du XIXe siècle. Il se présente sous la forme d’une fourchette et d’un couteau, plus rarement sous la forme d’une seule pièce : une fourchette à bord extérieur coupant. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, les lames des couteaux à poisson, traditionnellement en orfèvrerie ainsi que les fourchons, sont gravées de motifs décoratifs inspirés de la nature ; après quoi, dans les années 30, la tendance sera à la sobriété et à l’absence d’ornements.
Les crustacés et les mollusques inspirent les orfèvres. La fourchette à huître devient un classique. Les escargots ont leur pince et leur fourchette à deux dents, les bigorneaux leur mini-fourchette, les homards leur pince et une petite pelle ; la consommation des écrevisses exige, elle aussi, un petit couvert spécifique. Quant aux crevettes, elles «se dépouillent avec le couteau et la fourchette, ce qui est assez compliqué», précise un guide du savoir-vivre du début du XXe siècle.
Des couverts très spéciaux
Dans la série des curiosités : le tire-moelle, sorte de pipette dont la tige est évidée afin de s’introduire à l’intérieur de l’os, la fourchette à melon coupante, les pinces à asperges individuelles dont l’existence sera courte : « Cette pince sert à porter les asperges à la bouche. Gymnastique incommode au possible, qui s’exécute le plus souvent fort maladroitement et qui a fait, sur nombre de tables, supprimer ces petits instruments. »
Pour le dessert et les fruits, il existe toute une série de couverts individuels : des fourchettes et des cuillères aux dimensions réduites, mais aussi des fourchettes à gâteaux à deux dents, des fourchettes à fruits à trois dents, des couteaux à lame d’argent ou de vermeil avec manches de nacre, d’ivoire ou d’ébène, des couteaux à melon, des petits couteaux à beurre. Ces couverts à dessert, à glace et à fruits sont plus décorés que les autres car la lame, le fourchon et le cuilleron sont généralement gravés de motifs ondoyants directement inspirés par la nature.
Il existe toutes sortes de cuillères spécifiques : à thé, à café, dites aussi «à la russe», à moka, à potage, à œuf (cuillerons souvent dorés pour éviter l’oxydation due au jaune d’œuf), à soda ou à mazagran, avec un long manche, à verre d’eau avec,- à l’opposé du cuilleron, un petit pilon pour broyer le sucre, à sauce, à gâteaux, à sirop ou à cocktail dite « diablotin »…
Les ménagères
Les premiers ensembles d’argenterie de table apparaissent au XVIIIe siècle, rangés dans des coffrets de maroquin, des mallettes ou des meubles spécifiques. Ce sont des séries courtes, de six ou douze couverts. Mais on ne trouve pas de ménagère complète avant le XIXe siècle. Il faut attendre l’époque de Louis-Philippe puis de Napoléon III pour que la ménagère se généralise, s’agrandisse jusqu’à contenir 100 ou 150 pièces et devienne l’un des principaux symboles de l’opulence bourgeoise. Pendant un siècle, elle devient, avec le linge de maison, un élément essentiel du trousseau de mariage.
Des queues-de-rat aux palmettes
Jusqu’à 1730, le modèle dit «queue-de-rat» en raison de la petite proéminence qui renforce la face externe du cuilleron, est le plus fréquent, juste avant le modèle uni- plat, simple et sans décor, qui prédomine jusqu’à la Révolution.
Parallèlement apparaît, autour de 1700, le style coquille, en forme de coquille Saint- Jacques stylisée, puis le style violon coquille. Un filet est parfois associé à la coquille. On observe un début de décrochement entre la spatule et la tige.
Sous la Régence et Louis XV, les courbes s’accentuent, les décors se chargent, souvent répartis de manière asymétrique. C’est le triomphe du style rocaille. L’époque Louis XVI marque un retour à la rigueur et à des ornements plus discrets, tels les nœuds, les rubans, les feuilles d’acanthe, les palmettes.
Les modes du XIXe siècle
Sous l’Empire, la sobriété s’impose et les décors s’inspirent de l’Antiquité. À l’époque Louis-Philippe, retour aux styles du passé : on voit réapparaître le style uni-plat et à filets, ainsi que les décors de perles et de rubans. Sous l’influence de l’Angleterre, le style Napoléon III fait preuve d’un romantisme exacerbé. La décoration des couverts est très chargée, tarabiscotée. C’est un mélange hétéroclite de rococo et de néo-pompéien. À la fin du siècle, le japonisme impose une ornementation gracieuse et envahissante, souvent d’inspiration végétale, et des lignes sinueuses.
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