Burke : La beauté réside-t-elle dans l’harmonie et la proportion ?
Remettre en question les cadres de l’esthétique
À Edmund Burke, on reconnaît l’indiscutable mérite d’avoir préparé les voies de Kant. À bien des égards, la Recherche philosophique sur l’origine de nos idées du sublime et du beau anticipe les plus importants développements de la Critique du jugement. Mais, à ne chercher dans Burke que les prémisses de Kant, on passerait à côté de la force critique de son œuvre propre. Burke, pas plus que Kant, n’est un philosophe de l’art, mais en s’interrogeant sur les origines du sentiment de la beauté, et à plus forte raison du sublime, il remet totalement en question les cadres de l’esthétique qui fait de la beauté une affaire de proportion, de convenance ou d’harmonie et contribue à promouvoir contre elle ce qu’on appellera l’esthétique du sentiment. Aussi, faut- il commencer par rappeler les éléments constitutifs de cette esthétique classique avant d’examiner la critique qu’en donne Burke.
« De là, la raison se dirigea vers les œuvres des yeux et, embrassant la terre et le ciel, se rendit compte quelle n’aimait rien d’autre que la beauté, et dans la beauté les figures, dans les figures les proportions, dans les proportions les nombres »
Cette phrase extraite de Saint Augustin résume parfaitement ce qui .sera l’idée centrale de l’esthétique que nous appelons classique : la beauté résulte d’une harmonie qui plaît à la raison.
Régularité, symétrie et proportion=beauté
Cette harmonie, si elle apparaît aux sens et leur plaît, est pour l’essentiel une affaire de jugement. Qu’il s’agisse de jugement, cela se mesure assez au fait que les différentes formes que prend la beauté ainsi définie renvoient à autant de réalités mathématiques : ce sont la régularité, la symétrie et la proportion qui définissent cette harmonie caractéristique des belles choses.
La régularité est certainement la forme la plus élémentaire de la belle proportion. Les arts décoratifs sont souvent des arts de la régularité ainsi qu’en témoignent toutes les formes de frise ou de répétition d’un motif, ou encore la partie décorative de l’art culinaire. On ne manquera pas d’évoquer aussi l’architecture (la distribution des fenêtres sur une façade est régulière) ou encore la musique qui repose souvent sur la répétition d’un même motif, du Miserere d’Allegri au Boléro de Ravel.
La symétrie constitue une autre manière d’ordonner harmonieusement les parties d’une œuvre d’art et d’imiter ainsi certaines beautés de la nature, ainsi du corps humain (dont nous savons d’ailleurs la symétrie trompeuse) que Vitruve cite aux architectes en exemple de symétrie :
«L’ordonnance des édifices religieux est fondée sur la “symétrie”, dont les architectes doivent respecter le principe avec le plus grand soin… Aucun temple ne peut effectivement présenter une ordonnance rationnelle sans la ‘symétrie” ni la ‘‘proportion”, c’est-à-dire si les composantes n’ont pas entre elles une relation précisément définie, comme les membres d’un homme correctement conformé. »
Cette citation le suggère, les Grecs ne limitent pas la symétrie à l’équilibre entre éléments égaux, ils la retrouvent dans l’analogie, c’est-à-dire dans l’égalité entre proportions, de même qu’il y a deux formes de l’égalité mathématique, celle dite arithmétique (a = b) et celle dite géométrique (a/b = c/d).
La beauté est alors ce qui résulte de proportions en harmonie les unes avec les autres (comme dans une égalité géométrique).
« La proportion, consiste en la commensurabilité des composantes en toutes les parties d’un ouvrage. »
C’est cette commensurabilité qu’il retrouve dans le corps humain et qu’il exprime en un célèbre canon : les justes proportions du corps sont toutes exprimables en fractions de la silhouette entière : le nombril est le centre du corps qui s’inscrit dans un cercle et un carré de telle sorte que le visage représente un dixième de la hauteur, la tête un huitième, le thorax un quart, etc.
La divine proportion
Ce sont de telles proportions qui sont modèles pour les architectes. La plus connue est sans conteste la « divine proportion », ainsi que la baptise au XVe siècle le moine géomètre Luca Pacioli : le rapport 1: 1.618, ou nombre d’or. Le nombre d’or est au principe d’un rectangle harmonique, lorsqu’on retrouve le rapport 1:1.618 entre sa hauteur et sa longueur. Propriété remarquable de cette figure : si l’on ôte du rectangle harmonique le carré construit sur .sa hauteur, le rectangle ainsi obtenu est lui-même harmonique et peut être divisé de la même manière et ainsi de suite à l’infini… De la construction des temples grecs (de manière sans doute intuitive) aux créations de l’architecture moderne (de manière délibérée), la « divine proportion» semble fonctionner comme une véritable règle d’or. On ne s’étonnera pas davantage de retrouver le nombre d’or dans de nombreux rectangles artistiques, des cadres des tableaux aux formats des films en panoramique (1 : 1.66). Luca Pacioli initiera Léonard de Vinci aux mathématiques et ce dernier illustrera le traité d’architecture de Vitruve : cette continuité témoigne de la pertinence de l’esthétique de la proportion harmonieuse à la Renaissance et pour toute l’esthétique classique qui s’en inspire.
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