Le morcellement de l'espace public
Le second obstacle tient à la transposition de ce concept dans le champ de l’urbanisme au cours des années soixante-dix, dont ’émergence est symptomatique d’un mouvement, « le retour à la ville », influencé par les positions théoriques italiennes, lié à une lecture historique de la formation de la ville : une position stigmatisée comme « historiciste » car elle s’oppose aux tenants de la tradition « moderniste ». Dans cette perspective, l’espace public désigne des figures urbaines traditionnelles (la place, la rue, etc.). La réhabilitation de leurs formes spécifiques, l’étude de leur « sédimentation » a pour destination la
critique des espaces jugés « anhistoriques », « sans limites » et « isotropes » du « Mouvement moderne ». Cette position tend à vider de sa substance politique le concept d’« espace public » ; elle rend l’espace libre urbain (place, rue, etc.) synonyme de la sphère publique politique.
À ces deux premiers obstacles vient s’ajouter un troisième qui est, conséquence de la fortune critique du concept d’espace public, sa révision par Habermas qui, à la suite des critiques et des inflexions portées par les historiens et les anthropologues de la vie quotidienne, lui ont conféré une nouvelle portée scientifique. Ce concept ne figure plus un mode de représentation unitaire et totalisant de la sphère publique mais tient compte des mutations des systèmes de représentations actuelles, plus complexes, y substituant « un réseau fragile d’espaces publics pluriels et autonomes, qui n’ouvre à un espace commun, à la conscience diffuse de la communauté, que par les structures de la discussion qui lui sont propres » 7. En effet, dans la préface à la nouvelle édition allemande de son ouvrage, Habermas apporte des compléments importants à propos de la formation historique de la sphère publique bourgeoise et de ses transformations structurelles. Il constate par exemple que la sphère publique est plurielle dès sa formation ; à côté de la sphère publique bourgeoise émerge une sphère publique « plébéienne », sous des formes qui lui sont spécifiques. Il constate également les avancées de la sociologie de la communication dans l’analyse de la réception des contenus médiatiques, dont les conclusions tendent à souligner les formes de résistance du public face à cette communication politique médiatique.
.7 C’est ainsi qu’aujourd’hui le concept d’espace public « recouvre à la fois un ou des lieux, un ou des espaces physiques (l’agora, les salons et cafés, les places, le parlement, etc.) et le principe constitutif d’une action politique qui s’y déroule, devrait ou pourrait s’y dérouler, action que l’on reconnaît comme démocratique (la délibération en commun opposée au secret, à la raison d’État et à la représentation « louis-quatorzienne » analysée par Louis Marin). Il désigne à la fois des réalités empiriques (la cité-État grecque, la sociabilité bourgeoise du XVIIIe siècle) et une norme qui déborde ces singularités historiques et tend à contester le principe d’autorité dans toutes les institutions (SIentas non auctoritas facit legem). La notion d’espace public est elle-même érigée en médiatrice entre la société civile et l’Etat, entre la sociabilité et la citoyenneté, entre le privé et le public, les mœurs et la politique. »
Vidéo : Le morcellement de l’espace public
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