L'approche phénoménologique
l’artiste et son public
Le phénomène est ce qui apparaît à la conscience en mobilisant celle-ci. Or, cet apparaître existe par rapport à l’artiste seul, comme l’écrit Merleau-Ponty : « La vision du peintre n’est plus regard sur un dehors, relation physique-optique seulement avec le monde. Le monde n’est plus devant lui par représentation c’est plutôt le peintre qui naît dans les choses comme par concentration et venue à soi du visible… » (L’Œil et ¡’Esprit, 1964). La forme artistique n’est donc pas une structure toute faite, une Oestalt. Elle est davantage Gestaltung, forme en formation. Pour cela, l’artiste s’identifie à l’objet de son travail. Cézanne est peintre du percevoir, plutôt que du perçu. « Si l’on nomme cela art, c’est de l’art » dit l’artiste américain Don Judd. Aujourd’hui, c’est l’artiste qui décrète ce qui est de l’art et donc la manière de considérer ce qui est appelé « art ».
La forme inscrite dans l’œuvre revit ensuite dans l’esprit du spectateur. « Tout ce que je regarde me regarde », lance Gaston Bachelard. Ce contact du spectateur avec l’art est la rencontre d’une altérité rayonnante. Alors « la vision est une coexistence de mon corps avec le monde, un circuit où l’acte de peindre intervient — telle la réflexion phénoménologique — comme un troisième élément clarifiant le rapport réciproque des deux autres » (Robert Klein, La Forme et l’intelligible, 1970).
On comprend alors le rôle de l’historien de l’art. Il doit faire revivre ce qu’il perçoit de l’œuvre d’un artiste. De cette manière, il pourra différencier les œuvres, les classer, suivre des évolutions. Lawrence Gowing est un artiste attentif au processus de son art. Comme essayiste et historien d’art, cela lui permet de parler des œuvres de Cézanne, par exemple de La Montagne Sainte-Victoire vue du chemin des Lauves, définissant avec précision son métier et nous en faisant partager avec subtilité les saveurs : « Les zones claires présentent des mutations de rouge et d’ocre. La séquence se fait ensuite par de maigres touches d’émeraude impétueusement ponctuées de cramoisi, de violet, de gris-violet e t de noir. La manière est tranchante et métallique. Cézanne est toutes griffes dehors; des contours répétés affirment les tracés des arbres et les branches. La montagne soulève sa bosse, une fois encore, sans repos » (Cézanne, La logique des sensations organisées, 1992).
Mais force est de reconnaître que l’approche de Lawrence Gowing, certes d’une grande sensibilité, demeure métaphorique, voire poétique. À ce titre, il se situe dans une tradition inaugurée par Denis Diderot, qui de la même façon faisait partager « les saveurs » de l’art de Chardin.
L’art est sans histoire
La phénoménologie, pour Robert Klein, est la seule à pouvoir rendre compte de toute l’histoire de l’art. Ainsi, il montre comment la Renaissance développe jusqu’à ses extrêmes limites les ressources d’une science sans concept en explorant les « images ». Avec l’art moderne, c’est l’acte de peindre ou de sculpter qui devient essentiel, comme si les moyens avaient remplacé les fins. Ce qui est exprimé intéresse moins que ce qui constitue. Écartant toute référence exté- -ieure (le modèle) ou intérieure (le sentiment), l’artiste est aux prises avec la •natière qu’il habite dans un combat ontologique par lequel l’être se constitue voir extrait en fin de chapitre). On juge un tel artiste par son évolution et non car une seule œuvre exposée.
Avec Henri Maldiney, on serait tenté d’avancer que « l’art est sans histoire » cuisqu’il est d’abord un état de conscience. Mais l’histoire de l’art est davantage relie de la conscience artistique, l’histoire d’un questionnement du monde par artiste (Ouvrir le rien, l’art nu, 2000).