L’art et l'argent
Le prix de l’art
Il dépend de plusieurs choses, la principale n’étant pas la beauté ou l’émotion, car des personnes très riches peuvent acheter des œuvres uniquement pour « placer » leur argent, en espérant que le prix augmentera. Ce qui fait le prix d’un tableau, d’une sculpture, c’est la célébrité du peintre ou du sculpteur, et c’est la rareté de l’œuvre, qui vient de ce que chacune est unique. Quand un artiste meurt, s’il est célèbre, le prix de ses œuvres augmente encore, car il n’y en aura jamais plus d’autres.
C’est pourquoi les œuvres anciennes, qui sont de plus en plus précieuses quand on remonte dans le passé, parce que beaucoup ont été perdues ou détruites, atteignent des valeurs incroyables. Elles peuvent coûter aussi cher qu’un immeuble entier, qu’un gros avion à réaction ! Aujourd’hui, seuls les Etats, les grands musées ou les banques peuvent les acheter. Mais, à côté de ces œuvres connues et enviées dans le monde entier, des tableaux, des sculptures, des meubles signés, des objets d’art font 1 objet d’un commerce très important.
Les commandes
Dans le passé, l’œuvre d art était commandée à un artiste renommé par une église ou par un riche personnage qui voulait en faire don à une église (on l’appelait le donateur). Ces commandes religieuses étaient l’affaire d’artisans un peu particuliers, à côté de ceux qui construisaient, décoraient, meublaient les églises et les palais. Les sculpteurs et les peintres de fresques du Moyen Age (p. 13*2), en général, ne signaient pas : on ignore leurs noms et leur réputation n’était pas l’essentiel, une fois l’œuvre réalisée. Cette œuvre avait certainement une grande valeur.
mais pas commerciale : on ne vend pas ce qui appartient à Dieu ou aux saints. Quand les tableaux et les sculptures sont devenus aussi des œuvres profanes (c’est-à-dire non religieuses, non sacrées), quand ils ont été commandés par des princes (en Italie, par exemple), puis par de riches bourgeois (d’abord dans le nord de l’Europe), alors tout a changé.
Une nouvelle espèce de personnes apparaît, celle des « amateurs » d art – en fait des collectionneurs, des propriétaires, des marchands -, et l’œuvre entre dans l’ensemble des objets que certains (les plus riches) peuvent posséder, échanger, acheter ou vendre. En même temps, les peintres, les sculpteurs cessent d’être des fournisseurs comme les autres, de simples artisans.
L’art «’enseigne, se montre et se vend
Et puis, il y a deux cents ans environ, la société tout entière change. L’artiste, l’écrivain, le musicien, le peintre ne sont plus au service d’un prince; ils doivent vivre non plus des commandes d’un évêque ou d’un grand seigneur, mais de celles des États, des villes et surtout – mais cela vient plus tard – des marchands d’œuvres et d’objets d’art.
Les musées
Entre-temps est apparue une grande nouveauté, le Musée. En France, c’est la Révolution qui transforme l’activité artistique en organisant son enseignement et en montrant les tableaux à tous ceux que cela intéresse.
Après les collections privées – qui existent toujours – viennent donc « les Salons » et surtout les musées, qui sont les « maisons des Muses », patronnes des arts et de certaines sciences chez les Grecs et les Romains de l’Antiquité (on a d ailleurs d’abord dit muséum, qui est la forme latine, avant « musée », et on parle toujours du Muséum d’histoire naturelle).
Les Salons
Les Salons existaient avant la Révolution : on y présente les œuvres des artistes vivants et un nombreux public s’y intéresse; c’est pendant longtemps I endroit où des juges, qui .sont souvent des professeurs des écoles des beaux-arts, décident quels sont les plus beaux tableaux et sculptures. Ces manifestations régulières reflètent le goût de chaque époque, et les choix des Salons d’il y a cent ou cent cinquante ans nous paraissent aujourd’hui bien étranges ou même comiques. En général, l art moderne, I art nouveau y était sacrifié aux formes répétées, traditionnelles – celles qui faisaient obtenir le « prix de Rome », en France, aux « meilleurs » élèves de L’école des beaux-arts, ceux que les professeurs, avec leurs idées conservatrices, préféraient. Pendant ce temps, les pauvres peintres réalistes – comme Courbet – et impressionnistes, qui inventaient les manières nouvelles de peindre, étaient écartés et refusés. Heureusement, les meilleurs critiques, qui étaient souvent de très grands écrivains (en France, par exemple, Théophile Gautier, Charles Baudelaire, plus tard Huysmans, Zola), et les artistes eux-mêmes savaient reconnaître, au milieu de réussites techniques sans imagination, le regard et la sensibilité nouvelle qui créaient 1 art moderne.
Collectionneurs et marchands
Il y eut aussi, pour soutenir la vie contre la répétition du passé, de rares collectionneurs et quelques marchands. En effet, les « institutions » – l’Etat, les Académies, l’Ecole des beaux-arts, les Salons traditionnels – essayaient de conserver des goûts disparus, alors que la passion de la sculpture et de la peinture, chez les amateurs, pouvait aller vers la nouveauté. Les peintres qui changeaient les manières de voir et la sensibilité vivaient difficilement, puisque la tradition et la riche bourgeoisie qui aime cette tradition ne les appréciaient pas. Ce qui explique l’existence très difficile de peintres comme Van Gogh (p. 276) ou plus tard Modigliani (p. 248). Ce sont des marchands-amateurs – comme le célèbre Ambroise Yollard – et des collectionneurs qui font vivre certains peintres en achetant leurs tableaux, et, grâce aux marchands, vendent ces tableaux à de riches industriels, qui n’ont pas les préjugés des anciens amateurs.
Le marché de l’art
Ces marchands avaient des galeries de tableaux et d’œuvres d’art, mais surtout ils orientaient les choix. A partir de cette époque – il y a un peu plus de cent ans – l’art, surtout la peinture, devient un véritable marché. On parle, chose alors nouvelle, du marché de l’art. Ce n’est pas tout à fait un marché comme celui où on va faire ses courses, mais ça y ressemble. Comme pour tout ce qui s’achète et se vend, il y a des prix (des cours qui changent, montent el baissent), des intermédiaires, les marchands, les galeries, les commissaires priseurs. Ces derniers organisent les ventes aux enchères, où chacun peut acquérir l’œuvre mise en vente à condition d’offrir un prix plus élevé que toutes les autres personnes présentes ou qui ont proposé un prix.
Ce marché de l’art donne aux œuvres anciennes (plus rares, en général plus chères) et aux œuvres modernes, celles des artistes vivants, îles valeurs qui peuvent être incroyables quand on ignore la rareté de ces objets tous uniques – à la différence de ceux que fabrique l’industrie -, et si l’on néglige la valeur sentimentale et symbolique qu’on peut leur donner. Les musées du monde se battent à coups de millions pour avoir un tableau d’un grand peintre du passé, pour se constituer une collection qui représente bien une école ou une tendance de l’art, même contemporain. Et puis, les grandes fortunes trouvent commode d’acheter des œuvres et des objets d’art qui sont agréables à regarder, qui souvent prennent de la valeur, sauf s’il y a une crise. Certains industriels, grands commerçants ou banquiers achètent pour revendre plus cher : cela s appelle spéculer. D’autres constituent de belles collections qu’ ils contemplent ou qu’ils laissent voir à des visiteurs, en organisant des fondations, qui sont de véritables musées privés.
Cette valeur financière des œuvres, elle peut nous scandaliser, mais il ne faut pas oublier qu’elle permet à I art qui se fait d’exister, de se renouveler, et l’artistes de vivre et parfois de s’enrichir, ce qui est justice, car la plupart des grands peintres, aujourd’hui encore, gagnent beaucoup moins d’argent que les chanteurs de rock et les champions de tennis. Et puis, à mesure que le prix des œuvres les met hors de portée de presque tous – en tant que propriété -, tout s’organise pour que l’on puisse en profiter sans trop dépenser : musées de plus en plus nombreux, expositions, reproductions, livres d’art, etc.
Il n’empêche que dans cette expression « l’art et l’argent » on peut voir que l’art risque d’être au service de 1 argent plutôt que le contraire. Rêvons donc d’une société où 1 art. comme 1 imaginaire, comme le sentiment – car l’art crée et transmet ces valeurs-là -, serait absolument interdit à l’argent. Il n v a pas d activité humaine sans défaut. L’art est un chevalier en armure qui défend en nous les valeurs les plus essentielles pour l’espèce humaine; alors l’argent est le défaut de sa cuirasse.
Vidéo : L’art et l’argent
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