Cohabitation
Dans nos agglomérations urbaines, les textures vertes ne sont jamais illimitées. Ainsi, les « enclaves » sont les parties d’un tout, ressenti comme péjoratif. Elles représentent une manière spécifique de se combiner avec d’autres « morceaux de ville ». Il en existe d’autres, qui montrent que textures vertes et grises ne sont pas totalement antagonistes. En fait, l’imbrication entre les deux est beaucoup plus répandue qu’on se la représente habituellement. On en recensera ici quelques cas.
Places hybrides
Strasbourg présente deux exemples d’une forme urbaine particulièrement parlante. La place d’Haguenau se trouve à la lisière de la ville du XIXesiècle, près d’un canal et d’une autoroute qui le longe. Du côté de la ville, une ligne de façades forme un arc en demi-cercle qui enveloppe un square occupant un cercle tronqué par le canal et autour duquel se raccordent deux bretelles d’une autoroute. De ce fait, la place forme une sorte d’« entrée » de ville qui conjugue de façon inhabituelle éléments urbains traditionnels et modernes.
La place de Bordeaux est une autre illustration de cette combinaison mais qui se fait « en dégradé ». On est toujours sur la lisière de la Strasbourg du XIXe siècle ; du côté sud, c’est une demi-place ronde traditionnelle absolument alignée et relativement ouverte (car percée aux angles par deux grandes voies) ; à l’est, plusieurs bâtiments, dont un auditorium, sont plus ou moins à l’alignement ; à l’ouest, un des bâtiments du lycée Kléber touche légèrement l’alignement. Au nord se trouve un hôtel à la jonction entre deux grandes routes ; on est ici résolument en dehors de la ville compacte. Cette place-carrefour-esplanade est donc un lieu de rencontre entre deux types de texture urbaine, rencontre créant un espace non dépourvu de qualité.
Rues modernes
Le croisement entre textures urbaines supposées opposées ne se fait pas seulement à leur rencontre, mais aussi au sein de chacune. À Strasbourg, par exemple, l’avenue Charles-de-Gaulle est une forme urbaine mixte. C’est une large voie (70 mètres) bordée par quatre barres (à R+14) qui lui sont parallèles, et par quatre barres en « L » qui la resserrent spatialement à ses extrémités. Il s’agit donc, d’une part, d’une forme urbaine relativement traditionnelle : a) cette « avenue » est l’élément structurant l’ensemble, b) les immeubles sont alignés sur elle, et c) le profil de la voie (chaussée — allée — parterre — trottoir — socle des bâtiments) est particulièrement bien traité. D’autre part, les barres ne font pas partie des îlots traditionnels, surtout celles situées à l’ouest de la voie qui donnent sur le campus de l’Esplanade. Enfin, notons que le couplage entre voie traditionnelle, typologie moderne et îlots ouverts se manifeste ailleurs dans le quartier adjacent.
Un exemple un peu différent d’avenue moderne se trouve dans le quartier La Métare à Saint-Etienne : une large voie est bordée (loin de l’alignement) par quatre grandes barres (à R +11) ; sur l’une des extrémités, une tour et une barre ferment visuellement cette forme urbaine. La qualité du lieu vient surtout d’une rangée surélevée de magasins qui surplombe la voie en donnant lieu à une séquence particulièrement réussie : parking en perpendiculaire à la voie – trottoir bas (asphalte noir) – muret en pierre – double haies (prenant la différence des hauteurs) – escaliers — trottoir haut (asphalte rouge) — md.g3.sins. Ce genre de détail prend son importance quand on observe la voie qui passe au milieu de Bernon-Village, à Epernay, qui présente l’allure d’une route peu agréable. Ici, les magasins sont situés du côté bas de la pente ; décision fatale car les pentes abruptes bordent à l’opposé la voie et renforcent son allure un peu sauvage. Les magasins, quant à eux, sont au niveau du trottoir qui borde les parkings perpendiculaires à la voie.
Aux Châtillons à Reims, les magasins retrouvent leur place traditionnelle dans une rue « à l’ancienne » puisqu’ils se situent au rez-de-chaussée des immeubles (des barres à R + 7 qui zigzaguent le long d’une trame hexagonale très dense) bordant une grande esplanade centrale. À Beaulieu à Saint-Étienne, la rue (!) Le Corbusier est peut-être encore plus significative car c’est une vraie rue d’habitations. Son tracé est courbe. Du côté haut de la pente, elle est bordée par deux barres courbées successives et, de l’autre, par les petites parties des barres en « L » dont il était question ci-dessus. Par son tracé et par les immeubles qui la bordent, la rue revêt un aspect assez fermé, atténué par des échappées de vue entre les barres en « L ». Les immeubles des deux côtés de la voie donnent sur des îlots totalement ouverts. L’aspect composite de la rue est illustré par ailleurs par les haies qui délimitent les trottoirs et les ponts en béton faisant le lien entre le trottoir et les barres en « L ».
îlots verts
Des îlots relativement traditionnels se trouvent, par exemple, dans la cité-jardin du Pré-Saint-Gervais. Comme d’autres îlots des cités-jardins, ils sont traversés par des chemins piétonniers. À Strasbourg, le long du quai des Alpes, le cœur d’un îlot (composé de quatre petites barres, dont trois de maisons individuelles mitoyennes) forme une sorte de square accessible par les quatre coins et bordé par des jardins privés de maisons individuelles ; son centre comporte des parterres en gazon et une petite aire de jeux.
A Lille, l’ensemble Saint-Maur constitue aussi une sorte d’îlot, mais d’une nature bien différente : une série de barres longues et pas très hautes forment un îlot grand et complexe, aux deux tiers duquel se trouve une tour (à R+13) assez large. L’espace intérieur ainsi créé est très allongé ; il est ponctué de deux poches en « U » ; sa surface est une dalle surélevée d’un parking souterrain, couverte essentiellement de gazon et d’asphalte rouge ; le tout est bien entretenu. Même si ses proportions sont étranges, l’espace – trop long — est agréable par son côté fermé non oppressant. Il est à noter que cet ensemble n’est pas aligné sur les rues qui l’entourent et ne suit pas leur niveau ; il crée ainsi des délaissés trapézoïdes – parfois en contrebas, parfois en contre-haut par rapport aux voies – qui ne sont pas laids et gentiment plantés.
Ajouts aux rues traditionnelles
Il arrive que, sur un relativement grand terrain donnant sur une rue traditionnelle, on construise, au milieu de la parcelle, des immeubles de type moderne. C’est le cas à Nantes dans la rue du Calvaire-de-Grillaud. Au milieu de cette rue bordée essentiellement par de petites maisons se trouvent trois tours (à R + 7) entourées d’un jardin. Des haies assez hautes et des arbres plantés à l’alignement réalisent la séparation entre domaines public et privé ; de courts chemins droits lient trottoir et entrées des immeubles. Les arbres centenaires qui peuplent le jardin privé ajoutent une note très riche à la rue.
A Lille, deux résidences adjacentes ponctuent à leur manière la rue Emile-Zola. La première se compose de deux barres en équerre, la seconde d’une perpendiculaire à la rue. Ensemble, elles créent un jardin en forme de « U » donnant sur la rue et séparé d’elle par un petit muret et une haie qui laissent toutefois l’entrevoir.
Dans ces deux cas — il existe en France des milliers d’exemples de ce genre – le jardin privé donnant sur la voie élargit visuellement l’espace public de manière ponctuelle et l’enrichit. Sa valeur ne réside par forcément dans son caractère propre – le jardin entre les deux barres de la rue Emile-Zola est franchement quelconque —, mais dans l’accident qu’il crée dans un paysage urbain traditionnel assez morne. Dans une belle rue bien minérale, les trois tours ou les deux barres seraient une aberration.
Vidéo : Cohabitation
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